Jacques n’imaginait pas à quel point tenir ce Journal du temps de l’épidémie lui ferait du bien. Il recherche ce qu’écrivait à ce sujet son maître en thérapie existentielle Irvin Yalom dans le Jardin d’Épicure : « L’acte d’écrire par lui-même donne la sensation d’un renouveau. J’aime ce processus de création depuis les premiers miroitements d’une idée jusqu’à la conclusion du manuscrit. Son simple mécanisme est une source de plaisir. J’aime la menuiserie de l’écriture : trouver le mot parfait, poncer et polir les phrases, jouer avec le tic-tac de la cadence. » Certes Jacques tient son Journal sans aucune intention de le publier, et il ne pense pas vraiment à la « conclusion du manuscrit ». Mais il adhère totalement à ce que dit Yalom du plaisir quasi charnel de la « menuiserie de l’écriture ». C’est exactement ce qu’il ressent en recherchant le mot adéquat (« parfait » lui semble un peu exagéré), en vérifiant scrupuleusement qu’il n’a pas utilisé deux fois de suite le même substantif ou le même adjectif, et en ponctuant son texte de manière à le faire respirer (« le tic-tac de la cadence »). Et c’est pourquoi il apprécie autant l’écriture à l’ordinateur, qui permet des corrections et une mise en page immédiates alors que la plupart des vrais écrivains restent fidèles au bon vieux stylo, quand ce n’est pas au crayon à papier. Pour sa part, Jacques sait bien qu’il n’est pas un écrivain, juste un « écrivant ». Mais il s’efforce de faire en sorte que ce qu’il écrit soit bien écrit, au minimum en bon français, même s’il sait qu’il n’a pas vraiment de style personnel.
De son côté Astrid pourrait souscrire à une autre citation du même livre de Yalom. Racontant l’histoire d’une de ses patientes qui a fort bien réussi professionnellement en créant son cabinet de comptabilité, mais qui se rend compte que cette réussite ne l’a pas épanouie, ce dernier relate les paroles de sa patiente : « Je suis trop confinée dans mon travail, c’est l’un de mes plus gros problèmes. J’ai été comptable pendant de longues années, la plus grande partie de ma vie d’adulte, en fait, et je me rends compte aujourd’hui à quel point j’y étais mal adaptée. Je suis une extravertie dans une profession caractérisée par l’introversion. J’aime les rapports humains, bavarder avec les gens. Et être comptable est une activité trop monacale. J’ai besoin de faire autre chose. » Finalement elle et son mari finiront par tenir des chambres d’hôtes. »
Certes Astrid n’est pas comptable, ni sa propre patronne, et, pour l’instant, elle est très heureuse dans son travail, même quand il se résume à du télétravail. Mais elle est aussi très extravertie, et se dit que les contacts humains réels, et non plus simplement virtuels, vont vite lui manquer. Et peut-être qu’un jour elle voudra changer d’orientation, quand son travail de juriste lui ne lui apportera plus de véritables satisfactions.
Quant aux enfants, tout se passe pour le mieux pour Paul, mais Mélanie semble de plus en plus perturbée par la peur du virus, et les lavages de mains deviennent de plus en plus fréquents. Ses parents commencent à s’en inquiéter, et Jacques se dit que si les choses ne s’arrangent pas, il fera probablement appel à un de ses confrères pédopsychiatre. Il n’en connaît pas à Angoulême, mais il a quelques noms de confrères parisiens qu’il pourrait solliciter en téléconsultation. Cela dit, cela ne lui semble pas encore nécessaire.
Du côté de la famille d’Astrid, dont il a régulièrement des nouvelles, il apprend que sa belle-sœur Marion a été contaminée par le coronavirus, ce qui n’est guère étonnant dans la mesure où elle est vraiment en première ligne en tant qu’infectiologue soignant des patients atteints du Covid-19, avec peu de moyens de protection vraiment efficaces du fait de la pénurie. Son état n’inspire pas d’inquiétude, et elle n’a pas eu besoin d’être hospitalisée, mais elle a été mise à l’isolement strict chez elle jusqu’à ce qu’elle aille mieux. Elle ne peut pas voir ses enfants, et c’est son mari qui lui prépare à manger et lui apporte ses repas dans sa chambre. Jacques et Astrid l’appellent tous les jours pour prendre de ses nouvelles, et rompre sa solitude de confinée à l’isolement strict. Elle sait qu’on a besoin d’elle dans le Service, et que son absence devra être la plus courte possible. Elle reprendra le travail dès que ce sera raisonnable.
Extraits du Journal de Jacques
Lundi 30 mars
« Nos services de réanimation manquent de respirateurs, de personnel pour les faire fonctionner, de médicaments, notamment des morphiniques pour soulager les patients ventilés, et de masques pour se protéger. »
« Je reçois, via Google, l’article que Michel Onfray publie tous les jours dans la version en ligne du journal Marianne. Il y a encore dix ans, je me serais précipité pour en prendre connaissance. Mais je déteste tellement ce que ce philosophe est devenu, un imprécateur tirant à vue sur tout politique ou tout intellectuel qui ne pense pas comme lui, que je passe mon chemin. Je crains que, politiquement du moins, il ne finisse mal, comme certains écrivains pendant l’Occupation. »
« Christophe Prudhomme, médecin urgentiste et syndicaliste, tire à boulet rouge sur l’exécutif qui, selon lui, n’agirait pas avec toute la vigueur nécessaire. Trois semaines plus tôt jour pour jour, le 6 mars, on le voyait vitupérer sur un plateau de télévision contre ces politiciens qui en feraient des tonnes, toujours selon lui. »
« Deux images terribles en provenance des États-Unis : une double file interminable de voitures d’Américains ayant perdu leur travail, sans aucune ressource, se rendant à une banque alimentaire. Et l’intérieur d’un gigantesque camion frigorifique, en train de se remplir de dépouilles enveloppées dans des sacs orange, qui rappelle la tenue des détenus de Guantanamo. »
« La polémique s’installe sur le mensonge d’état chinois, dont même la presse chinoise, pourtant sous surveillance gouvernementale, se fait l’écho. La Chine aurait su dès le mois d’octobre qu’il se passait quelque chose d’inquiétant sur son territoire, mais aurait gardé pendant plusieurs semaines un silence coupable. Tout le monde se souvient de ce médecin de Wuhan lanceur d’alerte, qui figure parmi les premières victimes de la maladie. Les autorités chinoises n’ont déclaré qu’un peu plus de 3800 décès (alors que l’Italie a dépassé le cap des 10000 morts). En attendant, la Chine, dont le comportement est considéré par certains commentateurs comme « criminel », polit son image internationale en fournissant de l’aide (payante) à tous les pays qui la sollicitent, France comprise. »
Jacques se souvient qu’il n’y a guère que quelques semaines tout le monde donnait la Chine en exemple de bonne gestion de l’épidémie.
Mardi 31 mars
« De nombreux exemples de solidarité individuelle ou de groupe sont mis en valeur, comme ces jeunes des quartiers difficiles de banlieue (les fameux « quartiers ») qui, au lieu de zoner, vont faire les courses pour les personnes âgées qui ne peuvent plus les faire elles-mêmes. D’autres récupèrent les invendus des boulangeries pour aller les offrir au personnel soignant de leur hôpital. Des chefs cuisiniers préparent des repas de qualité pour le personnel des services de réanimation. Bref, beaucoup de belles initiatives qui font du bien.
Inversement, on voit apparaître une nouvelle forme de délinquance, avec notamment des vols de masques jusque dans les hôpitaux. On cite même le cas de soignants impliqués dans de tels trafics. Et sont rapportés aussi des exemples navrants d’incivilité à l’égard de soignants invités, par des mots anonymes déposés sur leur pare-brise ou dans leur boîte aux lettres, d’aller contaminer d’autres gens que leurs voisins. »
Durant toute la période du confinement on entendra beaucoup parler d’exemples de solidarités, et, heureusement, de moins en moins de cette navrante délinquance d’un genre nouveau.
À New York, « les militaires ont construit un hôpital de campagne à Central Park, pour soulager les hôpitaux civils.
Au Royaume-Uni, un adolescent de 13 ans est mort du Covid-19. »
« L’ancien patron de l’OM, Pape Diouf, est mort du Covid-19 dans son pays, le Sénégal. Il fut le premier homme noir à diriger un grand club de football européen, ce qui est une performance quand on connaît le racisme foncier, surtout vis-à-vis des Noirs, de certains supporters, notamment en Italie. »
« Au niveau européen, de nombreux commentateurs s’inquiètent de l’avenir de l’Europe, dont on ne peut pas vraiment dire qu’elle fasse preuve de solidarité. Chaque pays ferme ses frontières sans concertation avec les autres états membres. L’Italie, qui appelle ses partenaires au secours, a du mal à se faire entendre. Il faut préciser que les questions sanitaires ne font pas partie des compétences européennes, contrairement à d’autres sujets cruciaux, comme le calibrage des fruits et légumes. Les pays du Sud, emmenés par la France, aimeraient une mutualisation temporaire de la dette, dont ne veulent pas entendre parler les pays riches du Nord, Allemagne et Pays-Bas en tête, garants de l’orthodoxie budgétaire, qui a tendance à voler en éclats. Bref, les coronabonds, comme on les appelle, ne verront probablement pas le jour. »
Mais les mentalités vont évoluer petit à petit, et l’on aura la surprise de voir plus tard Angela Merkel et Emmanuel Macron proposer à leurs partenaires européens une sorte de mutualisation de la dette pour relancer l’économie : l’Europe emprunterait 750 milliards d’euros en son nom, destinés à aider en priorité les pays les plus touchés, comme l’Italie. Le remboursement se ferait au prorata de la richesse de chaque pays, et non pas de la somme prêtée. C’est une véritable révolution culturelle européenne, qui ne plaît pas aux pays dits « frugaux » (pour ne pas dire radins), comme l’Autriche le Danemark, les Pays-Bas et la Suède, tenants d’une certaine prudence budgétaire. La révolution consiste essentiellement dans le revirement idéologique de l’Allemagne, traditionnelle garante de l’orthodoxie budgétaire européenne.
Mercredi 1er avril
Jacques, en petite forme, n’a rien écrit sur le Covid-19 ce jour-là. Et pourtant il s’est sûrement passé plein de choses, mais rien qui lui a semblé digne d’être noté.
Jeudi 2 avril
« Je découvre le mot du jour : le déconfinement. Ce n’est pas tout-à-fait un néologisme, puisque le dictionnaire le connaît. Mais c’est la première fois que mon correcteur orthographique le rencontre, et, de ce fait, il me le souligne en rouge. Il va falloir que je lui apprenne vite fait à le reconnaître, ainsi que ses dérivés, comme le verbe déconfiner.
Depuis l’audition du Premier ministre, hier, le sujet est sur toutes les lèvres, d’autant qu’une décision doit être prise avant le 15 avril, fin programmée de l’actuelle période de confinement. On nous annonce que le confinement sera probablement levé plus tard, progressivement, par étapes, région par région, et même par tranches d’âge. Se posera le problème du test détectant la présence d’anticorps témoignant d’un contact récent avec le virus, et donc d’une absence probable de contagiosité. Mais on ne sait pas encore s’il faudra tester tous les individus un par un avant de les déconfiner. Et, si oui, aurons-nous assez de tests ? Et on nous annonce dès maintenant qu’il y aura probablement de nouvelles périodes de confinement partiel. C’est la stratégie du « stop and go ». Bref, le bout du tunnel, ce n’est pas pour tout de suite. »
En réalité, la première phase du déconfinement commencera le 11 mai, et se passera plutôt bien, ce qui permettra de déclencher la deuxième phase le 2 juin.
« Pour ce qui est de l’utilité du port du masque, les avis semblent partagés. Quelles seraient les recommandations si leur nombre était suffisant pour équiper toute la population ? Des calculs ont été faits, et le nombre de masques nécessaires serait de plusieurs milliards, donc autant dire qu’il n’en est pas question. Devrions-nous faire comme les Chinois, qui sont habitués à en porter en permanence, mais plutôt en raison de la pollution ? Je pense qu’il est trop tôt pour avoir des réponses actuellement. Mais il faudrait nécessairement avoir une doctrine prête pour la prochaine pandémie, et les stocks nécessaires. »
Ce problème de l’utilité et de la disponibilité des masques durera encore de longues semaines, et créera un état plus ou moins permanent de polémique.
« Deux nouveau-nés sont décédés aux États-Unis, remettant en cause l’idée, transmise par les médecins chinois, que les enfants étaient épargnés. »
Au fur et à mesure que les connaissances évolueront sur cette maladie, on apprendra que les enfants sont en réalité très peu atteints par le Covid-19, du moins jusqu’à 12 ans, et que, contrairement à ce qui se passe pour tous les virus à tropisme respiratoire, ils ne semblent pas être les vecteurs de la maladie, au point que, lorsque des enfants seront contaminés, ce sera souvent par leurs parents, et non pas l’inverse. Du coup se posera plus tard la question de savoir si l’on n’en a pas un peu trop fait pour préserver les enfants.
Vendredi 3 avril
« Un expert nous explique qu’il y a en fait deux modèles asiatiques de lutte contre l’épidémie : celui de la Chine, plutôt archaïque et adapté à un régime autoritaire, et le modèle actuellement le plus performant, le plus actuel, à l’œuvre notamment à Singapour, à Taïwan et en Corée du Sud, pays démocratiques. À Singapour, pas de fermeture des écoles ni des bars, mais un respect très strict des mesures de distanciation sociale, dont j’apprends qu’elles ont été imaginées pour lutter contre la grippe espagnole il y a un siècle. Et surtout, des tests à très grande échelle, et un traçage des patients positifs pour identifier les individus avec qui ils ont été en contact. Grâce à cette stratégie parfaitement adaptée à un état policier de 5 millions d’habitants, qui n’est pas une dictature, Singapour est celui des pays qui a la létalité la plus faible par Covid-19. Ce traçage, le fameux tracking, fait débat chez nous, avec la polémique autour de l’idée de « tracer sans fliquer ». Les Asiatiques semblent s’en accommoder très bien. Mais, comme tous le soulignent, nous ne partageons pas la même vision du monde que les Asiatiques, pour qui le collectif l’emporte sur l’individuel. »
Toute cette problématique du traçage resurgira au moment du déconfinement, quand il s’agira de mettre en place l’application StopCovid, accusé par certains d’être liberticide.
« Un EHPAD de l’Isère a organisé un JT dont la présentatrice est une résidente de 97 ans, et dont les reportages sont tournés par les résidents pour donner de leurs nouvelles à leurs proches. Belle initiative.
Un Italien de 101 ans vivant à Rimini est sorti guéri d’une forme sévère du Covid-19, sous les applaudissements du personnel soignant. C’est assez impressionnant de penser qu’il est né pendant l’épidémie de grippe espagnole… »
Jacques nous apprend qu’un « Monsieur déconfinement » est nommé ; il s’appelle Jean Castex. Ce que l’on sait de lui, c’est qu’il semble avoir fait du bon travail à tous les postes qui lui ont été confiés. »
Nous aurons l’occasion de reparler de ce Jean Castex.
« Quotidiennement des reportages nous montrent des Services de réanimation pleins à craquer de patients Covid+ intubés, avec leur personnel en tenue de cosmonaute. Tous semblent exténués, mais « montent au front » avec détermination. Des héros, on ne cesse de vous le répéter. Et d’ailleurs, vous les applaudissez tous les soirs à 20 heures, comme ils le méritent. Mais certains d’entre eux ont la désagréable surprise de trouver sur leur pare-brise, quand ils rentrent chez eux après une dure journée de labeur, un petit mot anonyme leur demandant sans aménité d’aller contaminer ailleurs que près de chez eux. »
Comme Jacques a déjà eu l’occasion de le dire, les médias ne nous montrent qu’une facette du travail des soignants, la plus spectaculaire, celle qui fait le plus d’audience, mais aussi celle qui génère le plus de stress pour la population.
Samedi 4 et dimanche 5 avril
Quelques mots sur le Covid, qui ne fait pas la pause du week-end :
« Pour commencer, ces images rafraîchissantes de lieux emblématiques débarrassés provisoirement de leur pollution habituelle, comme l’eau des canaux de Venise qui ressemble enfin à de l’eau. »
« Dans les Services de réa en surchauffe, c’est la pénurie de médicaments qui se profile. Il manque en effet des médicaments dans les trois classes thérapeutiques nécessaires aux patients ventilés : les hypnotiques (pour les faires dormir), les analgésiques (pour les empêcher de souffrir) et les myorelaxants, les fameux curares (pour qu’ils se laissent ventiler par la machine). »
« Le journaliste Bernard Guetta, devenu récemment député européen, n’hésite pas à traiter Donald Trump de « crétin ». Et Libération fait sa Une sur « La première impuissance mondiale », en référence évidente aux USA. »
« La doctrine a encore changé sur les masques, dont le port est maintenant recommandé pour tout le monde, y compris les masques alternatifs en tissu. »
Les Carnets de la drôle de guerre
Le N°14 est consacré à un long article sur l’immunité collective, titré : « L’immunité collective peut-elle avoir raison de l’épidémie ? »
Pour tenter de répondre à cette question la parole est donnée successivement à un épidémiologiste travaillant à l’université de Montpellier, Mircea Sofonea, à un philosophe des sciences, Thomas Pradeu, et enfin à Olivier Rey, philosophe. Comme quoi des non-scientifiques (deux des trois intervenants) peuvent répondre utilement à des questions scientifiques.
La question cruciale qui est posée aux décideurs est la suivante : « Comment affronter le dilemme éthique qui oppose le devoir de prendre soin de chacun « un à un » - selon le principe de la morale déontologique – et le souci de protéger le plus grand nombre et de calculer les conséquences à l’échelle collective – selon le principe de la morale conséquentialiste ? »
Conclusion de ce très intéressant article : les choix stratégiques qui ont été faits en Europe continentale, et en France en particulier, ne sont pas certes pas les moins bons, mais ils n’auraient pas dû être décidés « dans le dos » des citoyens, sans concertation ni explication (je rappelle que l’immunité collective n’a jamais été évoquée lors des interventions d’Emmanuel Macron ou d’Édouard Philippe). « Car, on ne surmontera cette crise qu’en faisant en sorte que les individus et le collectif puissent se reposer l’un sur l’autre. C’est peut-être le sens philosophique profond de l’idée d’immunité collective. » CQFD…
N°15
Aujourd’hui c’est le philosophe Mickaël Fœssel qui répond aux questions d’Alexandre Lacroix. Il a écrit plusieurs livres remarqués, dont le dernier, Récidive. 1938, établissait un parallèle entre les années 2018 et 1938, par l’étude approfondie de la presse de cette dernière année. Jacques y avait découvert avec stupéfaction qu’une grande partie de la presse de l’époque faisait preuve d’un antisémitisme extrêmement virulent, qui ne pouvait pas s’expliquer par l’occupation encore à venir de la France par les troupes nazies. Il était possible de lire dans certains journaux français de 1938 qu’il était urgent « d’exterminer la vermine juive » !
Ce que souhaite dénoncer Fœssel, c’est la facilité avec laquelle, selon lui, les leaders des démocraties se voient en chefs de guerre, et avec quelle satisfaction ils manifestent leur goût du contrôle des populations. On pense évidemment à Donald Trump et à Emmanuel Macron. Et il faut dire que Fœssel n’y va pas de main morte avec des phrases de ce type : « Les mesures adoptées par la France sont, peut-être, inévitables – mais ne perdons pas de vue qu’elles demeurent scandaleuses. Quelle que soit leur nécessité circonstancielle, elles sont inadmissibles en regard de ce qu’est un État de droit. Cela mérite d’être rappelé. »
N°16: Les nouvelles fractures sociales
Victorine de Oliveira a colligé les réponses de quatre intervenants, à savoir une travailleuse sociale, un philosophe, un syndicaliste et un sociologue, à des questions portant sur les impacts sociaux de la crise sanitaire, et sur les différences de vécu du confinement selon les conditions de vie de ceux qui le subissent.
Pour conclure cet article, personne n’est plus indiqué que le philosophe américain John Rawls, qui définissait le ressentiment comme « la réaction aux dommages et aux blessures que nous infligent les mauvaises actions d’autrui ».
N°17
Cette livraison pose la question suivante : « Les parents peuvent-ils réinventer l’école à la maison ? »
Deux philosophes expriment deux points de vue très différents, Ollivier Pourriol et Cynthia Fleury. Le premier est un philosophe cinéphile. Quant à Cynthia Fleury, elle est philosophe et psychanalyste, titulaire de la chaire Humanités et santé au CNAM, ainsi que de celle de philosophie de l’hôpital Sainte-Anne. C’est assez dire que la santé fait partie de ses préoccupations professionnelles.
Le choix proposé par Naomi Hytte est le suivant : « En période de confinement, peut-on faire classe à la maison comme si on était à l’école – et maintenir la fameuse “continuité pédagogique” chère au gouvernement ? Ou est-ce l’occasion d’explorer de nouvelles formes d’apprentissage ? »
Ollivier Pourriol défend la seconde option, Cynthia Fleury la première.
Mais nos deux philosophes sont au moins d’accord sur un point : les parents ne peuvent pas se transformer en enseignants.
N°18
Ce numéro nous invite à réfléchir à la pratique nouvelle des « apéros virtuels » en imaginant ce qu’en auraient pensé six philosophes classiques, compte tenu de ce qu’ils ont écrit sur l’amitié.
Du côté de ceux qui se seraient probablement prononcés pour cette pratique amicale : Épicure, Montaigne, Alain. Et, dans le clan des grincheux, qui auraient certainement désapprouvé : La Rochefoucauld, Schopenhauer, Derrida.
Épicure (341 – 270 av. J.-C.) : Parmi les choses dont la sagesse se munit pour la félicité de la vie tout entière, de beaucoup la plus importante est l’amitié. (Sentences vaticanes).
Montaigne (1533 – 1592) : Parce que c’était lui, parce que c’était moi (Les Essais).
Alain (1868 – 1951) : Il suffit que ma présence procure à mon ami un peu de vraie joie pour que le spectacle de cette joie me fasse éprouver à mon tour une joie ; ainsi la joie que chacun donne lui est rendue (Propos sur le bonheur). Comme le coronavirus, la joie est contagieuse.
La Rochefoucauld (1613 – 1680) : Nous ne donnons pas (à nos amis) pour le bien que nous leur voulons, mais pour celui que nous voulons recevoir (Maximes).
Schopenhauer (1788 – 1860) : Ils se groupent afin de s’ennuyer en commun (Aphorismes sur la sagesse de la vie).
Derrida (1930 – 2004) : L’amitié ne garde pas le silence, elle est gardée par le silence. Dès qu’elle se parle, elle s’inverse (Politiques de l’amitié).
Un dernier extrait du Journal de Jacques, pour clore en beauté cette semaine : « Pour bien terminer cette troisième semaine de confinement, je voudrais citer ces mots de l’humoriste Vincent Dedienne, interrogé dans le dernier numéro de Philosophie Magazine. À la question Que retenez-vous de votre éducation ?, il fait cette réponse à la fois rassurante mais aussi surprenante pour un homme de spectacle : Les bonnes manières, la discrétion et la solitude. Du coup je l’apprécie encore plus qu’avant, pour oser défendre des valeurs aussi désuètes. »
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