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Christian Thomsen

Confinés volontaires (5)

Pour les enfants Dubreuil, scolarisés à Paris, les vacances de Pâques commencent ce lundi, pour deux semaines. On fêtera Pâques dimanche 12, et le lundi 13 sera férié, le lundi de Pâques. Jacques s’est souvent demandé pourquoi le lundi qui suit le dimanche de Pâques avait été choisi comme jour férié, et non pas le Vendredi Saint, qui le précède de 48 heures. Mystères du calendrier… Quand les enfants étaient petits, ils aimaient beaucoup le rituel de la chasse aux œufs organisée ce jour-là dans cette maison familiale où ils se trouvent actuellement confinés. Leurs grands-parents, qui organisaient tous les ans cette chasse, étaient encore en vie.

Jacques et Paul ont sorti du garage la table de ping-pong, et ils font des parties endiablées. C’est le plus souvent Paul qui gagne, ce que Jacques accepte sans broncher. Contrairement à son fils, il n’est pas mauvais perdant, ou, pour le dire autrement, il n’est pas aussi compétiteur que lui.

Les enfants passent une partie de la journée avec des jeux vidéo de « vie virtuelle », jeux non violents où il n’est heureusement pas question de démolir des adversaires. Paul est accro à Sims 4, cependant que Mélanie préfère Animal crossing, plus mignon, notamment dans son graphisme.

Les parents, qui ne sont pas en vacances, demandent à leurs enfants de passer un peu de temps sur la plate-forme d’enseignement à distance pour faire quelques révisions, et surtout pour ne pas perdre l’envie de travailler. Et ils veillent à ce que chacun travaille régulièrement son instrument de musique.

Jacques constate un changement dans les attentes de ses patients. Bien que le confinement ne dure que depuis quatre semaines, certains d’entre eux commencent à avoir quelques difficultés psychologiques, à type de crises d’angoisse ou d’insomnie. Il essaie de leur apporter tout le soutien dont il est capable, avec ou sans médicament. Ceux qui le vivent le plus mal sont les patients qu’il suit avec sa casquette de psychiatre. Il n’a pas encore eu besoin de recourir à l’hospitalisation, mais commence à l’envisager pour certains d’entre eux.

Mais, pour l’instant, c’est le comportement de Mélanie qui leur pose problème. Elle est de plus en plus angoissée à l’idée d’être contaminée, alors que le risque paraît objectivement bien faible pour elle. Mais, par exemple, quand sa mère va, une fois par semaine, faire les nécessaires courses alimentaires, Mélanie craint qu’elle ne revienne porteuse du virus sans le savoir, et ne le communique à toute la petite famille. Du coup, elle prend de plus en plus de précautions, désinfecte tout ce qu’elle touche avec des lingettes imbibées d’antiseptique, reste à distance de ses parents et de son frère. Les repas pris en commun commencent à poser des problèmes. Jacques et Astrid sont suffisamment inquiets pour faire appel à un pédopsychiatre parisien qu’ils connaissent, qui préconise dans un premier temps deux séances hebdomadaires de psychothérapie en visioconférence, d’une demi-heure chacune, sans support médicamenteux pour l’instant. Il leur donne le nom d’une psychothérapeute spécialisée dans la thérapie des enfants, qui accepte de prendre Mélanie en charge, après s’être assuré qu’elle l’accepte.

Jacques ne peut évidemment pas assurer lui-même la thérapie de sa propre fille, mais il va en suivre de près les résultats, et, il l’espère vraiment, les progrès.

Marion est toujours à l’isolement, mais commence à refaire surface. Si tout va bien, elle pourra retourner travailler la semaine prochaine, car elle ne sera plus contagieuse. Ses enfants seront en vacances du 18 avril au 3 mai.

Astrid prend très régulièrement des nouvelles de ses parents, et surtout de sa grand-mère, qui n’a plus le droit à aucune visite, comme tous les résidents d’EHPAD de France, et qui commence à déprimer sérieusement, même si elle comprend très bien les raisons de ce confinement strict. Mais comprendre ne veut pas dire adhérer, et elle trouve la mesure un peu sévère, elle qui avait pratiquement tous les jours la joie de recevoir la visite de sa fille. Astrid craint que sa grand-mère ne meure d’ennui et de désespoir plus que du Covid-19.

Quelques extraits du Journal de Jaques, toujours cantonnés aux notations sur l’épidémie.

6 avril

« Les nouvelles du front sont mitigées. Côté bonnes nouvelles, les chiffres nationaux sont à la baisse, notamment le nombre de patients hospitalisés en réanimation.

Côté mauvaises nouvelles, les Français ont nettement moins bien tenu leur confinement pendant ce beau week-end de printemps. Gare à la fameuse 2ème vague ! Autre conséquence désagréable, l’augmentation du prix moyen du panier de courses de 89 %, soit près du double. Gagner moins pour dépenser plus n’est pas un slogan très vendeur pour un politicien en mal de réélection. »

Cette fameuse deuxième vague sera l’obsession de tous lors du déconfinement, jusqu’à ce que l’on nous dise, début juin, après le début de la phase 2 du déconfinement, qu’elle n’aura vraisemblablement pas lieu, l’épidémie semblant être   « sous contrôle », comme disent les experts. Mais d’autres experts prédisent que cette deuxième vague est inéluctable, à une date que personne ne peut prévoir.

« Une pétition en ligne pour libéraliser l’usage de l’hydroxychloroquine a été lancée par un ancien ministre de la Santé, cardiologue de formation, Philippe Douste-Blazy. Elle a déjà recueilli 200 000 signatures. »

Jacques verra, au fil des semaines et comme tous les Français, se développer de manière totalement irrationnelle la polémique autour du Pr Raoult et de la chloroquine. Impossible d’y échapper.

« À l’étranger, on apprend que Boris Johnson est hospitalisé pour le Covid-19 qu’il a contracté il y a une dizaine de jours. Je n’ose pas penser à ce que représenterait son décès si cela devait arriver. »

En fait cela n’arrivera pas, et Boris Johnson ne passera que quelques jours dans l’Unité de Soins Intensifs où il sera admis dans la soirée de ce lundi 6 avril. Mais, par la suite, les observateurs le trouveront changé par cette épreuve. Il aurait même perdu son légendaire humour. C’est assez dire l’ampleur du changement.

« Pendant ce temps la reine a parlé à ses sujets, et leur a dit que le coronavirus serait vaincu s’ils restaient unis et résolus. Je n’ai pas eu connaissance qu’elle ait évoqué le cas de son Premier ministre. Pas son genre…

Je vois quelques images de l’intervention de la reine d’Angleterre, extrêmement élégante dans sa robe aux couleurs de l’espoir (c’est-à-dire d’un très beau vert Véronèse pétaradant). C’est un personnage qui force le respect. Son message d’espoir à la population est d’une précision toute « chirurgicale » : 528 mots en 4 minutes, et tout est dit. On la voit aussi à l’âge de 14 ans, en 1940, pendant les bombardements allemands sur Londres, prendre la parole pour délivrer un message radiodiffusé à destination des enfants de son pays. C’était il y a 80 ans ! Les commentateurs disent que, pour les Britanniques, elle est un roc dans la tempête, une boussole qui indique la direction à suivre, raison pour laquelle elle est tellement respectée. »

« Pour les masques, il est maintenant admis que ceux qui sont dits alternatifs sont utiles, et il n’est pas exclu que le port d’un masque, qu’il soit chirurgical ou alternatif, ne devienne obligatoire, comme l’Italie l’a décrété ces jours-ci, avec même une amende de 400 € pour les contrevenants ! Christian Estrosi, le maire de Nice, annonce qu’il va faire délivrer des masques à tous les Niçois avec, en contrepartie, l’obligation d’en porter un sur la voie publique. »

« Un réanimateur de Cochin, le Pr Chiche, nous explique que la réanimation c’est 3 % du nombre de lits d’hospitalisation pour 30% du budget des hôpitaux ! Et il nous apprend aussi (en tout cas je n’en avais pas une conscience aussi claire) qu’un séjour prolongé en réanimation est une épreuve terrible pour les organismes sur tous les plans, psychique et physique. Un seul exemple, la fonte de la masse musculaire qu’il faut des mois pour reconstituer. Et, six mois après leur sortie, beaucoup de patients n’ont pas réussi à reprendre leur travail.

Je me rends de plus en plus compte que le Covid-19 est essentiellement une affaire de réanimateurs. Les trois catégories de médecins et de soignants concernés sont les urgentistes, qui font le tri entre « Covid + » et « Covid - », ceux qui interviennent dans les Unités médicales Covid, et, en fin de chaîne, les réanimateurs. Ce n’est pas pour rien que l’on ne voit qu’eux dans les médias. Sans oublier, bien sûr, les personnels des EHPAD, qui se sentent un peu les grands oubliés de toute cette affaire. »

Jacques ne peut pas ne pas penser à sa belle-sœur Marion, infectiologue en Saône-et-Loire, qui a été contaminée en soignant des patients atteins de la maladie. Aux dernières nouvelles, elle va bien, et devrait pouvoir retourner bientôt à l’hôpital s’occuper des patients Covid. Avantage pour elle, elle devrait, du moins en principe, être immunisée et ne plus courir aucun risque.

« Une folle rumeur circule dans le monde, mais c’est au Royaume-Uni qu’elle fait le plus d’adeptes, donc le plus de dégâts : le développement mondial du coronavirus serait dû à l’installation d’antennes destinées à la 5 G ! Certaines de ces antennes sont en conséquence saccagées en Angleterre. »

Mardi 7 avril

« La France vient de franchir la barre des 10 000 décès, dont un tiers dans les EHPAD. Il faut dire que lorsque le virus pénètre dans un de ces établissements, c’est très vite l’hécatombe.

Les autorités préparent la population à un confinement qui va durer au-delà du 15 avril, avec différentes options pour le déconfinement. L’Académie de médecine prône un déconfinement par régions, en fonction des lits disponibles en réanimation. Mais aucun scénario de déconfinement n’est vraiment arrêté. »

Le scénario sera annoncé la première semaine de mai, juste avant le déconfinement, qui commencera le 11 mai.

« Et l’on reparle du tracking, pour éviter le mot français traçage, qui, pour une fois, me semble aussi efficace que son homologue anglais. Compte tenu de l’extrême sensibilité des Français à toute mesure potentiellement liberticide, il faut s’attendre à de belles passes d’armes sur le sujet. Une indication précieuse : 60% des sondés ne seraient pas opposés à un traçage par GPS. Mais nous sommes déjà tous fliqués par nos opérateurs téléphoniques, qui n’hésitent pas à revendre nos données personnelles en vue de nous diffuser de la pub ciblée. Et, que je sache, personne ne s’en émeut vraiment. »

Comme on l’imagine, cette polémique se réactivera quand il s’agira d’installer l’application StopCovid, au moment du déconfinement.

« Parmi les facteurs de risque de mortalité des patients Covid + en Réanimation, le plus important semble être l’obésité. Mais j’apprends que trois-quarts des patients hospitalisés en Réanimation sont des hommes. Fin de la parité… »

Mercredi 8 avril

« Il est désormais acquis que la maladie passe par deux phases quand elle s’aggrave. Pendant la première, c’est le virus qui agit par sa seule présence dans l’organisme. La seconde phase, pendant laquelle le virus a quasiment disparu de l’organisme, ne concerne que les cas qui évoluent mal. Cette phase voit se développer un « orage immunitaire » : le système immunitaire s’emballe et se retourne contre lui-même de manière dramatique. Cette réaction inflammatoire extrême et incontrôlable s’accompagne de la production massive de cytokines, correspondant à ce qu’on appelle désormais un « orage cytokinique ». Que sont donc ces fameuses cytokines, dont je connais certes le nom, mais ni la nature exacte ni la fonction ? »

« Les habitants de Wuhan sont enfin déconfinés depuis hier, mais pas pour autant relâchés complètement dans la nature. Et l’on ne voit guère de scènes de liesse auxquelles on s’attendait. Peut-être n’est-ce pas dans le tempérament chinois ? Ils continuent à être masqués, et sont obligés de télécharger dans leur smartphone un code QR, qui donne deux réponses : vert, aucun problème pour circuler ; rouge, la circulation n’est pas interdite, mais ces personnes font l’objet d’une surveillance particulière. Je n’imagine pas très bien ce système « liberticide » instauré chez nous. Mais il faudra peut-être en passer par là, probablement sur la base du volontariat. »

« La rumeur sur le rôle des antennes 5 G dans la propagation de la pandémie continue à prospérer en Grande Bretagne. Une vidéo nous montre un ouvrier en train de monter une de ces antennes interpellé par une femme qui lui demande très calmement s’il n’a pas honte de ce qu’il est en train de faire. L’ouvrier ne voit visiblement pas ce qui lui est reproché. Alors, pour qu’il comprenne bien, et pour lui donner définitivement mauvaise conscience, la femme en train de le filmer lui dit tout de go « Quand vous allez mettre votre antenne en service, votre grand-mère va en mourir. Vous voulez vraiment tuer votre grand-mère ? » Si ça se trouve, ce paisible ouvrier n’a déjà même plus de grand-mère…

Cette vidéo est terrifiante car elle montre que la personne qui parle ainsi n’a pas le moindre doute sur la vérité de ce qu’elle dit. C’est de la foi à l’état pur, de type intégriste, totalement inaccessible à la moindre contradiction scientifique. Et il est possible de faire le même constat navrant et inquiétant pour tout ce qui relève de la théorie du complot. Un « platiste » (c’est le nom que se donnent ceux qui sont persuadés que la Terre est plate) est mort récemment dans l’explosion de la fusée qu’il avait construite pour prouver au monde entier la « platitude » terrestre. »

Très vite il ne sera plus question de cette folle rumeur, du moins dans les médias français. Jacques et Astrid sont terrifiés par cette « pandémie » de théories complotistes. Ils ont jusque dans leur famille pourtant bien informée une parente de leur génération qui refuse de croire que l’homme a marché sur la lune ! Et tout ce qu’ils essaient de lui dire pour la faire changer d’avis la renforce dans sa conviction inébranlable.

Jeudi 9 avril

« Je découvre une rubrique du JT commun à France 2 et France Info qui s’appelle « Et après ». L’invité du jour est le fondateur de la plate-forme Doctolib, leader français de la prise de rendez-vous en ligne dans le secteur de la santé. Ce PDG, Stanislas Niox-Château, nous explique que le confinement a fait exploser le nombre de téléconsultations, passées en quelques jours de 1000 à 100 000, soit un chiffre multiplié par 100. Pour réussir cette performance, son entreprise a installé de nombreux cabinets médicaux éphémères. Il nous rappelle en passant que la majorité des patients atteints du Covid sont traités en médecine de ville, notion qui passe totalement inaperçue car les médias ne nous parlent que des patients admis en réanimation. Pour revenir au titre de la rubrique, on peut penser que la télémédecine, qui avait du mal à décoller vraiment, sera par la suite boostée par l’expérience du confinement. »

Jacques pourra le confirmer, la téléconsultation est efficace, y compris dans sa spécialité, ce qui n’était pas gagné d’avance.

« Le directeur de l’ARS de la région Grand-Est a été limogé pour avoir dit qu’il fallait maintenir la fermeture de lits au CHU de Nancy, ce qui ne passe pas vraiment par les temps qui courent. Je rappelle que ces directeurs, ayant rang de préfet, sont nommés et révoqués par le gouvernement. »

« Le nombre des violences faites aux femmes augmente de façon inquiétante, ainsi que celui des signalements pour suspicion de maltraitance d’enfants. C’est probablement un effet combiné du confinement et des campagnes de sensibilisation nous incitant à signaler les cas suspects dont nous pourrions avoir connaissance. »

« Un épidémiologiste français travaillant en Suisse et qui m’a l’air on ne peut plus sérieux, Antoine Flahaut, nous tient sur les masques des propos à contrecourant complet du discours officiel : non seulement les masques protégeraient ceux qui les portent, mais encore les masques FFP2 ne seraient pas plus efficaces que les masques chirurgicaux. Jusque-là on entendait dire que la seule utilité des masques, c’était d’éviter que les patients porteurs du virus ne contaminent par leurs postillons les gens avec qui ils sont en contact. Et l’on disait que les masques FFP2, réputés plus efficaces, devaient être réservés à la protection des soignants. Bref, qui croire ? J’ai vaguement l’impression que nous ne sommes pas près de connaître la réponse à cette question pourtant essentielle. »

Jacques apprendra par la suite qu’en Allemagne, pays montré en exemple pour sa bonne gestion de la crise sanitaire, on admet même une protection par un simple foulard ; et qu’au Danemark le port du masque est déconseillé car il représente une fausse sécurité. Les Danois lanceront une étude contrôlée pour savoir, de manière indiscutable, si le port du masque sert vraiment à quelque chose. Aussi curieux que cela paraisse, on ne connaît pas la réponse à cette question toute simple, et pourtant essentielle.

« Le traçage (je préfère décidemment ce terme à l’anglicisme tracking, d’autant plus que l’adjectif qui en dérive, « traqué », n’a pas le même sens que « tracé ») revient sur le devant de la scène, avec son cortège de craintes pour les libertés individuelles. Alain Bauer rappelle une notion que beaucoup semblent avoir oubliée, à savoir que l’article 9 du RGPD (le règlement général sur la protection des données, valable dans toute l’Union européenne) prévoit des exceptions à certaines interdictions qui s’appliquent manifestement aux épidémies, même si le mot ne figure pas en toutes lettres dans l’article en question. En clair, le législateur européen a prévu la possibilité d’une atteinte temporaire aux libertés individuelles en cas de force majeure, comme c’est le cas pendant la période épidémique que nous vivons actuellement. »

Vendredi 10 avril

« Hier Emmanuel Macron a rencontré le Pr Raoult sur ses terres marseillaises.

Un analyste politique fait une comparaison qui me semble assez pertinente. Selon lui, le scientifique atypique qu’est le Pr Raoult, et pas seulement du fait de son look improbable, en lutte permanente contre le discours scientifique officiel, est un parfait représentant de la France périphérique et provinciale, la « France d’en bas », au mieux ignorée, au pire méprisée par les élites parisiennes. Bref, Didier Raoult serait une sorte de leader « gilet jaune », la violence en moins, l’intelligence en plus (ce n’est pas une grande performance). Et c’est pour cette raison que, toujours selon lui, il était important que Macron aille à sa rencontre. C’est d’ailleurs lui qui avait imposé sa présence dans le comité scientifique qui le conseille, avant qu’il n’en claque la porte. Ce serait également lui qui aurait obtenu que l’hydroxychloroquine soit testée dans l’essai Discovery. Mais je pense qu’Emmanuel Macron ne se positionnera pas sur l’utilisation de ce traitement tant qu’on n’aura pas les résultats des études en cours. »

Jacques souscrit totalement à cette analyse faisant du Pr Raoult un parangon de représentant « antisystème » aux yeux d’une large partie de la population, alors qu’en réalité il est au cœur du système. Un peu comme Jean-Luc Mélenchon.

« Bonne nouvelle en France : pour la première fois le chiffre des sorties de réanimation est supérieur à celui des entrées, la différence étant de 82 lits. En revanche, le nombre de morts continue à augmenter, et nous avons dépassé le chiffre de 12000.

Boris Johnson est lui aussi sorti des Soins Intensifs. Quoi qu’on puisse penser de ce personnage flamboyant, c’est une bonne nouvelle. »

Samedi 11 avril

« Pour débuter ce week-end pascal d’un genre nouveau, une petite réflexion me vient à l’esprit sur le doute et la foi. Le doute est le pire ennemi du croyant, dont il peut faire basculer la foi. Mais la perte de la foi ne concerne que celui qui l’a perdue. Les conséquences sont donc très limitées, surtout si le néo-mécréant ne parle à personne de ce qui lui arrive.

Le doute en revanche est indispensable au scientifique. S’il oublie ce principe de base au profit de la certitude, équivalent laïque de la foi, alors son comportement n’est plus celui d’un scientifique. Mais la perte du doute d’un seul individu peut avoir des conséquences dramatiques, car elle touche tous ceux qui ont foi en lui, et qui ressentent le besoin impérieux de le croire. C’est, je le crains, ce qui est arrivé au Pr Raoult avec la chloroquine.

Bref, vive le doute. Et c’est le moment de citer deux grands humoristes à l’esprit scientifique aiguisé, Pierre Desproges, Le doute m’habite, et Raymond Devos, J’ai un doute »

« Phrase entendue ce matin à la télévision, dans la bouche du médecin-explorateur Jean-Louis Étienne parlant de ses expéditions polaires qui sont une sorte de confinement volontaire avant l’heure : « On ne repousse pas ses limites, on les découvre », qui est le titre d’un de ses livres.

Je crains que de nombreuses femmes battues ne découvrent beaucoup trop vite les limites de leur compagnon en matière de bientraitance conjugale. »

Dimanche 12 avril

« Jacques et Astrid renouvellent en famille l’expérience du « skypéro ». C’est plutôt un truc d’adultes, car Jacques constate que les enfants des uns et des autres ne font qu’une brève apparition. »

Lundi 12 avril

« Je n’ai pas vraiment envie de suivre l’actualité sinistre du Covid. Je note toutefois que Boris Johnson est sorti de l’hôpital, non sans remercier le personnel hospitalier de lu avoir sauvé la vie. Décidemment, ce leitmotiv a la vie longue.

Ce soir, à 8 heures et 2 minutes, donc juste après les désormais traditionnels applaudissements pour les soignants, Emmanuel Macron s’exprimera à la télévision. Que va-t-il nous dire ? Que nous serons confinés un mois de plus ? Nous verrons bien. Ce qui est sûr, c’est que tous les Français l’attendent au tournant. »

Les Carnets de la drôle de guerre

N°20

Les Cahiers de la drôle de guerre font partager à leurs lecteurs le témoignage d’une femme médecin urgentiste au CH de Privas, préfecture de l’Ardèche (la plus petite préfecture de France), qui a la particularité certainement peu banale de préparer un doctorat en philosophie. Jacques est dubitatif, écrivant ceci : « Oserai-je dire que je trouve ce témoignage, présenté comme « indigné et bouleversant », quelque peu emphatique et grandiloquent ? Oui, j’ose le dire. Mais je reconnais que c’est bien écrit et plaisant à lire. »

De plus, Jacques a un peu de mal à imaginer les Urgences du modeste hôpital de Privas totalement débordées par l’afflux de patients atteints du Covid.

N°21

La livraison du jour des Carnets de la drôle de guerre est consacrée à Pierre Zaoui, qualifié par Catherine Portevin de « pessimiste joyeux ». Les échanges entre le philosophe et la responsable de la rubrique « Livres » de la revue Philosophie magazine se font par mails, après qu’elle a relu le livre de ce dernier, La traversée des catastrophes, « manuel de survie » écrit au temps du SIDA. Tous les deux usent du tutoiement.

Comparant le Covid-19 au Sida, qu’il a personnellement connu, Pierre Zaoui écrit que, selon lui, le premier est une maladie beaucoup moins tragique que le second, pour la raison suivante : « Le sida était une maladie qui tuait majoritairement des jeunes gens de 20-30 ans, jusque-là en parfaite santé, alors que le Covid-19 menace essentiellement les plus vieux et les plus fragiles. Cela change absolument tout : celle-là était une épouvantable tragédie, au moins au sens moderne, pas celle-ci. Tu as dit le mot : tragique. Si la perte d’un parent ou d’un grand-parent est une tristesse, et parfois immense, seule la mort d’une jeunesse en bonne santé est une tragédie. »

C’est exactement ce que dira André Comte-Sponville au moment du déconfinement, et le moins que l’on puisse dire est que ses propos ne seront pas très bien reçus par les tenants du « tout-sanitaire ».

N°22

Ce numéro évoque, par le truchement de Cédric Enjalbert, le rapport que nous entretenons avec nos voisins, profondément modifié par l’expérience du confinement. Il s’appuie pour cela sur deux philosophes, Thierry Paquot et Hélène L’Heuillet, et un sociologue, François Dubet. Pour commencer, il cite une intervention de François Rebsamen, le maire de Dijon, qui demande à ses concitoyens d’arrêter les pratiques de délation d’un autre temps : Je reçois énormément de messages par courrier, sur les réseaux sociaux, certains clairement pointent les mauvais comportements de leurs voisins. J’invite les dénonciateurs à renoncer à ces manières. 


Arthur Schopenhauer, déjà convoqué dans ces Carnets, écrivait que « nous sommes faits pour la sociabilité et, en même temps, nous ne sommes pas faits pour vivre les uns sur les autres. » C’est la métaphore des porcs-épics qui nous est resservie.

À propos de la bonne distance à respecter entre les individus, Thierry Paquot indique que « les attentions entre personnes, l’entraide, la solidarité, le coup de main, l’apéro, les cadeaux ordinaires ne dépendent pas de la proximité mais de la familiarité. » Plus loin, ceci : « On peut se mettre à sa fenêtre à 20 heures et applaudir le personnel soignant tout en restant froid envers son voisin immédiat ! Toutes proportions gardées, les témoignages abondent (…) qui confirment que la gravité d’une situation collective n’améliore pas nécessairement les relations interindividuelles. » Le fait que notre voisin soit aussi notre prochain ne le rend pas nécessairement plus proche de nous.

Cédric Enjalbert termine son article par une interrogation : « Et si les relations de voisinage, prises au sens le plus circonscrit de l’immeuble ou du quartier, du simple respect mitoyen, mais aussi au sens le plus large, national sinon cosmopolitique, autrement dit citoyen, sortaient renforcées par l’affermissement de l’État-providence, par l’affirmation d’un besoin non pas moral mais social d’égalité et la nécessité vitale d’une solidarité bien ordonnée ? »

Cette hypothèse optimiste « est fondée sur la possibilité de concevoir concrètement le temps du confinement non seulement comme une aventure personnelle mais aussi comme une expérience collective. »

Il faudra attendre la fin du confinement pour valider ou pas cette hypothèse.

N°23

Catherine Portevin recueille la parole du philosophe Nicolas Grimaldi. Agé de 86 ans, il vit seul depuis de nombreuses années dans un ancien sémaphore de la côte basque, face à l’océan. C’est dire qu’il a déjà l’habitude d’une certaine forme de confinement volontaire.

Voici trois phrases remarquables parmi tant d’autres que Jacques a notées :

« Je vis pour moi-même mais si je ne peux plus vivre pour personne, c’est comme si je ne vivais pas. »

« Peut-être le sentiment le plus obsédant n’est-il pas, comme on le croit, l’amour mais plutôt la tendresse. »

«  La première condition de toute joie, c’est d’être au moins deux. Toute joie est partagée. »

C’est sur ces paroles réconfortantes que se clôt le 4ème chapitre du confinement. Et Jacques se fait la promesse de lire prochainement ce philosophe dont les propos le remuent.


Le philosophe Nicolas Grimaldi

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