
Vous avez été nombreux à aimer "l'île déserte" de mon ami Jean-Michel Molkhou.
Eh bien, voici la suite de son article.
Mon île n’est plus tout à fait déserte, le beau disque Capitol de « La nuit transfigurée » de Schoenberg par le Quatuor de Hollywood trônant déjà fièrement sur le rayonnage improvisé de ma cabane de Robinson. Mais le choix du second m’est presque plus difficile. Un premier c’est un premier, il forme un tout lorsqu’il est seul … à condition de le rester. Si tel n’est plus le cas, les difficultés commencent, tant se pressent au portillon quelques dizaines de disques qui m’ont fait durablement plaisir. Ceux liés à un voyage, une rencontre, un cadeau ou un cher disparu défilent dans ma tête. Ceux qui m’ont fait découvrir l’art d’un interprète se bousculent, suivis par ceux qui m’ont ouvert les oreilles sur une œuvre dont je n’imaginais pas qu’elle puisse être aussi belle. Le problème est surtout de savoir lequel satisferait mes humeurs de solitaire perdu dans mon île, et qui ferait bon ménage avec le microsillon des Hollywood, devenu terriblement jaloux de plus être le seul, l’unique. En arpentant les rayonnages de ma discothèque parisienne, j’ai essayé de choisir. Rien à faire. Je me suis alors tourné vers ceux je j’avais copiés dans mon Ipod. Ce fut pire, car tous avaient presque la même importance, la même raison d’être (Scarlatti par Horowitz, Haydn par les Amadeus, Bach par Milstein, les Goldberg de 55 par Gould, L’amour et la vie d’une femme par Kathleen Ferrier…). Aucun moyen d’en sortir si ce n’est de me mettre en situation. M’isoler, couper mon téléphone et mon ordinateur, ranger mon violon et me poser la question : alors maintenant qu’aimerais-tu écouter dont tu sois certain de ne jamais te lasser ? Un concerto, une sonate, un quatuor ? Un violoniste, un pianiste, un orchestre ou plutôt une voix ? De ce complexe algorithme, sont sortis plusieurs titres qui tournent en boucle dans mon esprit comme ils le feraient sur ma platine imaginaire du bout du monde. Mozart avec ses miraculeux quintettes à cordes par le Quatuor Amadeus et Cecil Aronowitz, le tout jeune Mendelssohn avec son octuor par Heifetz et ses amis, les sonates de Franck et de Lekeu par le duo Ferras/Barbizet, comme les concertos de Bruch et de Sibelius par le couple électrique Gitlis/Horenstein se pressent sur le podium. Alors comme en finale d’un concours s’il me faut désigner le meilleur en ne pensant qu’à la postérité et si je laisse seule l’émotion me guider, il devient évident que les Amadeus dans le quintette en sol mineur K.516 l’emportent haut la main. Je me revois à Nice dans les années 70 sortir de la classe de musique de chambre de Joseph Calvet, où je faisais un stage d’été, pour aller acheter ce coffret de l’intégrale qui venait de paraître puis découvrir un à un ces trésors absolus de musique pure. Depuis longtemps le Quatuor Amadeus représentait pour moi une sorte d’idéal - il le reste encore aujourd’hui - et je ne manquais jamais l’un de ses passages à Paris. Modèle parmi les modèles pendant un demi-siècle, son esthétique mozartienne m’a toujours comblé par sa fraîcheur, sa tendresse et sa pulsation intime. Affectueusement surnommé par leurs amis le « Wolf Gang » ses membres en furent durant quarante années les plus inspiré des messagers. L’agencement des voix, la dynamique des attaques et des nuances, le vibrato miraculeux de Norbert Brainin, mais surtout la pure beauté du son tout est là qui m’enchante encore et toujours. Leur ton souverain, jamais opulent, laisse toujours une discrète fragilité ébranler nos cœurs avec ce naturel et surtout cet équilibre magique entre tendresse et vigueur, véritable signature de ce quatuor d’exception. Dans leur art d’énoncer la mélodie rien n’est jamais figé, chaque ligne respire un parfum d’éternité, Brainin s’offrant une incroyable liberté tandis que ses partenaires, épousant les courbes de son chant, les moindres de ses retenues ou ses irrésistibles ports de voix, ne brident jamais son inspiration.
Alors je sais que ce disque - avec une émotion particulière pour les mesures tombées du ciel qui ouvrent le final - pour toujours me tiendra compagnie, en me laissant suspendu à leurs voix comme au fil d’un songe.
Jean-Michel Molkhou
Je valide totalement le choix de mon ami, d'abord parce que ce quintette de Mozart est une des pièces les plus sublimes de toute la musique de chambre, et que l'interprétation des Amadeus est aussi ma préférée.
Un regret cependant : être totalement incapable de parler des musiques que j'aime comme il le fait si bien. Ce talent n'est donné qu'à de rares personnes.
PS : la photo est un envoi de Jean-Michel, que je remercie pour tout.
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