Comme annoncé dans un précédent propos, j’aimerais dire quelques mots sur trois essayistes que j’apprécie tout particulièrement, Étienne Klein, Simon Leys et Tzvetan Todorov.
Étienne Klein
Étienne Klein, né en 1958, est un extraordinaire vulgarisateur scientifique, ce qui n’est pas incompatible avec son statut de physicien de haut vol. Il dirige en effet le Laboratoire de recherche sur les sciences de la matière, émanation du CEA (le Commissariat à l’énergie atomique). Il s’intéresse également à la philosophie des sciences, autrement dit à l’épistémologie. Un des sujets qu’il aborde le plus souvent est le problème du temps, qui est par excellence une thématique commune aux physiciens et aux philosophes, et cela dès les débuts de la philosophie grecque. Il a consacré au temps plusieurs essais, dont je cite les titres par ordre chronologique, comme il se doit : Le Temps (1995), Le Temps et sa flèche (1996), Le Temps existe-t-il ? (2002), Les tactiques de Chronos (2003), Le temps qui passe (pour les enfants, 2006), Le facteur temps ne sonne jamais deux fois (2007). Une des idées force qu’il développe est que la physique oblige à différencier le temps et le devenir, autrement dit le cours du temps et la flèche du temps. Un de ses derniers livres, Matière à contredire, est sous-titré Essai de philo-physique, façon habile et amusante de conjuguer ses deux matières de prédilection.
Mais si je ne devais recommander qu’un seul de ses livres, ce serait assurément En cherchant Majorana, le physicien absolu, paru en 2013, dans lequel il évoque la personnalité incroyable de ce génie italien de la physique, qui a disparu très jeune sans que personne ne sache ce qu’il est devenu. Je me permets de citer quelques phrases de la quatrième de couverture : « Ce théoricien fulgurant a surgi dans l’Italie des années vingt, au moment où la physique venait d’accomplir sa révolution quantique et de découvrir l’atome. (…) Ce jeune homme maigre, aux yeux sombres et incandescents, était considéré comme un génie de la trempe de Galilée. Mais de tels dons ont leur contrepoids : Majorana ne savait pas vivre parmi les hommes, et c’est la pente pessimiste et tourmentée de son âme qui finit par l’emporter. À l’âge de 31 ans, il décida de disparaître et le fit savoir. » La quête d’Étienne Klein pour retrouver des traces d’Ettore Majorana est un polar palpitant.
Notre auteur vient de publier chez Actes Sud un essai consacré au problème du vide, Ce qui est sans être tout à fait. Essai sur le vide. C’est le dernier en date, mais sûrement pas le dernier tout court, tant cet essayiste est prolifique (mais jamais prolixe). J’attends donc avec impatience son prochain essai.
Étienne Klein anime un site de vulgarisation scientifique : https://etienneklein.fr.
Simon Leys (1935 – 2014)
Le grand essayiste et sinologue Simon Leys (né Pierre Ryckmans), de nationalité belge puis australienne, et d’expression française et anglaise, avait choisi ce nom de plume en hommage au personnage éponyme d’un roman de Victor Segalen, René Leys. Simon Leys et Victor Segalen, qui était à la fois marin, médecin et écrivain, avaient en commun l’amour de la Chine et de la mer. Simon Leys s’est offert à moi par le biais de sa fameuse trilogie chinoise Essais sur la Chine (Bouquins). Ce livre est constitué par la réunion des essais suivants : Les Habits neufs du président Mao (1971), Ombres chinoises (1974) et Images brisées (1976).
Le journaliste et écrivain Pierre Boncenne, concepteur de La Bibliothèque idéale, est l’auteur d’un essai passionnant sur notre auteur, Le parapluie de Simon Leys (Philippe Rey 2015). Pour faire comprendre l’importance qu’a eue cette trilogie, rien de mieux que de citer le premier paragraphe de la quatrième de couverture du livre : « Pendant de nombreuses années, une bonne partie de l’intelligentsia occidentale – en France surtout – s’enflamma pour l’utopie maoïste. Jusqu’au jour où une voix isolée, celle de Simon Leys, clama son indignation : témoin de la réalité atroce de la « Révolution culturelle » (il vivait et travaillait à Hong Kong), ce brillant sinologue sortit de sa réserve pour en dénoncer le caractère totalitaire et meurtrier. D’abord accueillis par la calomnie, les essais sur la Chine de Simon Leys se sont bientôt imposés comme des références par leur clairvoyance et l’élégance de leur style satirique ». Simon Leys précise dans ses écrits sur la Chine que toutes les preuves étaient à la disposition de qui voulait bien se donner la peine de lire les journaux de Hong Kong, porte-paroles des Chinois qui avaient réussi à fuir l’enfer dans lequel le régime de Mao les faisait vivre. Mais les intellectuels français maoïstes (et ils furent nombreux) préféraient manifestement croire, au sens religieux du terme, plutôt que de savoir, dans l’acception scientifique de ce verbe.
Mais Simon Leys s’est intéressé à quantité d’autres sujets, notamment la mer et la littérature. Là encore, au jeu du livre à emporter sur une île déserte, je citerai Protée et autres essais, publié en 2001 chez Gallimard, livre que je relis régulièrement. Il y est question de la façon de commencer un roman, de Cervantès, de Victor Hugo, mais surtout d’André Gide, puisque c’est lui que Simon Leys qualifie de Protée. Le long chapitre dévolu au « contemporain capital » s’intitule : Protée : un petit abécédaire d’André Gide. Pour qui s’intéresse à l’œuvre de cet écrivain protéiforme, un peu oublié de nos jours, c’est particulièrement éclairant sur le fond et original dans la forme.
Pour ne pas abuser de la patience de mon lecteur, je garde pour un prochain billet ce que j’aimerais dire sur Tzvetan Todorov.
Dr C. Thomsen, octobre 2019
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