Toute personne qui suit régulièrement les informations ne peut ignorer que l’hôpital public est en crise profonde, notamment ses services d’urgence. Cette situation catastrophique me donne envie de raconter l’histoire de l’hôpital public depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours, en m’aidant d’un livre passionnant intitulé C’est l’Hôpital qui se moque de la Charité, écrit par l’ex-chef de Service de chirurgie cardio-vasculaire et de transplantation de l’Hôpital européen Georges Pompidou (HEGP), le Pr Jean Noël Fabiani, grand spécialiste de l’histoire de la médecine. Ce livre fourmille d’anecdotes amusantes ou surprenantes, et nous raconte également comment s’est constitué, au fil des siècles, l’hôpital public. Je reprends ici à dans ses grandes lignes les chapitres de la saga médicale que constitue l’histoire de l’hôpital public.
L’accueil des pèlerins
L’accueil des pèlerins est la vocation première de l’hôpital, dont la création remonte au VIème siècle. Etymologiquement, l’hôpital, ou plus précisément l’hospice, est le lieu où l’on accueille l’étranger, hostis en latin. En échange de cet accueil, les pèlerins participaient à la construction des édifices religieux. Cette vocation première va évoluer au cours du Moyen Âge, sous l’influence de deux facteurs : l’explosion démographique entre l’an 1000 et 1300, génératrice de grandes famines, puis les grandes épidémies qui ravagèrent la France du XIIème au XIVème siècle, comme la peste ou le choléra. L’expression populaire « choisir entre la peste et le choléra » indique une alternative (un choix) entre deux options aussi catastrophiques l’une que l’autre.
Ce dicton me donne l’occasion de parler d’un roman étonnant de Patrick Deville, intitulé Peste et Choléra, paru en 2012. Il s’agit d’une biographie romancée d’Alexandre Yersin, pionnier de la bactériologie à l’Institut Pasteur, qui découvrit en 1894 le bacille de la peste, qui depuis porte son nom, Yersinia pestis. Sa vie fut effectivement un véritable roman d’aventures. Je recommande chaudement la lecture de ce passionnant bouquin.
On notera que l’hôpital public a gardé la bonne habitude de soigner les étrangers, qu’il s’agisse de migrants en situation irrégulière ou de nos voisins anglais qui viennent se faire opérer chez nous car ils ont du mal à le faire chez eux, ou encore d’émiratis fortunés attirés par la qualité reconnue de notre système de santé.
On entend régulièrement dire qu’ils laissent souvent en rentrant dans leur pays une importante ardoise aux hôpitaux français qui les prennent en charge, notamment à l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris). Fermons la parenthèse.
L’hôpital et la Charité au Moyen Âge
Au Moyen Âge, la plupart des établissements qui « soignaient » des malades (qui n’étaient pas encore des patients) étaient gérés par des congrégations religieuses, notamment les frères ou les sœurs de la Charité, si bien que ces hospices furent appelés des Charités. Petit à petit, hospice, hôpital et charité devinrent plus ou moins synonymes, tout aussi démunis et inefficaces les uns que les autres.
De nos jours où l’on ne sait plus ce qu’est une charité, il est resté l’expression populaire « c’est l’hôpital qui se moque de la charité », qui veut dire que celui qui se moque n’est pas mieux loti que celui dont il se moque. C’est le titre que le Pr Fabiani a judicieusement choisi pour son livre.
L’Hôtel-Dieu de Paris. Les Hospices de Beaune
Avant de partir à la Croisade, en 1189, le roi Philippe II Auguste fit agrandir l’Hôtel-Dieu, situé sur le parvis de Notre-Dame. C’était des religieuses, les Dames Augustines, qui s’occupaient des malades, couchés par 2 ou 3 par lit. L’essentiel de leur travail consistait à coudre des linceuls, car on mourrait beaucoup à l’Hôtel-Dieu de Paris, la médecine de l’époque étant plus qu’embryonnaire.
On acceptait tout le monde à l’Hôtel-Dieu, sauf les gens que l’on pensait être contagieux : les pestiférés, qui le sont vraiment, et les épileptiques, atteints du « haut mal », qui ne le sont pas du tout, comme on le sait depuis longtemps.
Une clinique chirurgicale sise rue de la Santé dans le XIIIème arrondissement de Paris était tenue par les Sœurs Augustines jusque dans les années 80, la clinique des Augustines, avant de devenir un EHPAD (autrement dit une maison de retraite médicalisée, en langage vernaculaire).
En visitant les célèbres Hospices de Beaune, on peut avoir une idée assez précise de ce qu’était un Hôtel-Dieu en Bourgogne à l’époque glorieuse de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne plus puissant que son suzerain et néanmoins rival le roi de France Louis XI. La visite des Hospices de Beaune, qui sont dans un exceptionnel état de conservation, est une étape incontournable de tout voyage en Bourgogne.
L’accueil des malades et des mendiants
Pour faire face à l’arrivage massif de malades et de miséreux, l’hôpital a dû se reconvertir, et remplacer dans ses lits les pèlerins par des malades ou des mendiants affamés, considérés les uns et les autres comme dangereux, du fait du risque de contagion des malades, et de la criminalité supposée des mendiants. De par leur dangerosité présumée, ces pensionnaires devaient être enfermés, si possible loin du centre des villes. En effet, puisque les hospices ne recevaient plus de pèlerins, il n’était plus nécessaire de les construire près des édifices religieux, d’où leur lente migration « hors les murs ».
L’hôpital-prison. Bicêtre
Au XVIIème siècle, les épidémies se sont un peu calmées, et le problème prioritaire dans les villes devient la présence de plus en plus envahissante de pauvres, qui rendaient les villes peu sûres, surtout la nuit.
En plus de l’Hôtel-Dieu de l’Ile de la Cité, qui accueillait des malades, Louis XIV fit édifier, outre l’Hôtel des Invalides pour les militaires, un des plus beaux monuments du Paris actuel, deux grands hospices qui existent encore, la Salpêtrière pour les femmes, et Bicêtre pour les hommes. Il imposa également, par un édit de 1662, que chaque cité importante puisse bénéficier d’un Hôtel-Dieu ou d’un hospice pour accueillir « les pauvres, les vieillards, les vagabonds et les orphelins ». On voit qu’il n’était pas vraiment question de malades.
L’hôpital se transforme alors rapidement en lieu d’incarcération permettant d’assurer le « renfermement » des pauvres. Puis on enferma les aliénés, et ensuite les vénériens.
Tant et si bien qu’en 1729 Bicêtre deviendra une vraie prison pour les droits communs. Au nombre des prisonniers célèbres de Bicêtre figure le Marquis de Sade, qui y fut incarcéré en 1803 à la suite de la publication de Justine ou les malheurs de la vertu.
Actuellement, Bicêtre n’est plus un hôpital-prison, mais est devenu un CHU comme les autres.
Dr C. Thomsen, Décembre 2019
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