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Journal du temps de l’épidémie (38)

Lundi 11 mai, J0 du déconfinement

Ça y est, on déconfine. Mais, bien entendu, cela se passe sans aucune explosion de joie ni embrassade, tant on nous répète à l’envi qu’il faut rester prudent.

Je remarque à ce propos que l’injonction « restez chez vous », qui apparaissait en incrustation en haut et à droite de nos écrans de télévision sous le logo des chaînes publiques, a été remplacée par celle-ci, moins coercitive : « restez prudents ». Nous le serons, assurément. Sauf peut-être aux abords du canal Saint-Martin, où de nombreux Parisiens ont organisé un apéro géant sans respect des gestes-barrière. Au bout d’une heure, ils sont gentiment délogés par les forces de l’ordre, sans violence ni d’un côté ni de l’autre.

Quelqu’un (qui donc ?) a imaginé un nouveau mot pour dire la convivialité en période de Covid, la « covidialité ». C’est plutôt bien vu.

Et je crois aussi que la peur du virus va rester longtemps présente dans nos esprits, au point que certains commentateurs n’hésitent pas à parler de psychose. En effet, sans vouloir minimiser en quoi que ce soit l’importance du problème sanitaire, il est clair que les médias ont axé toute leur communication sur les cas graves, la Réanimation, les décès à l’hôpital et en EHPAD. Or la létalité (le nombre décès rapporté au nombre de patients atteints de la maladie), qui n’est vraisemblablement que de 1 à 2%, concerne essentiellement les personnes de plus de 65 ans. Et pourtant ce sont les jeunes qui paraissent craindre le plus le virus, au point pour certains de préférer rester dans le confinement. C’est en tout cas ce que souhaitent 35% des personnes sondées. Peut-être indéfiniment ?

Et c’est le retour à l’école qui semble générer le plus d’appréhension, tant de la part des parents que des enseignants. Heureusement que les soignants ne se sont pas posé la question de savoir s’ils iraient travailler. Ils l’ont fait, et sans se prendre pour des héros, comme l’a bien expliqué dans une vidéo une jeune femme généraliste à Paris, qui indique qu’elle n’applaudit plus les soignants à 20 heures. Elle rejoint ce que j’ai déjà exprimé dans un propos de ce blog intitulé « Sauver des vies par temps de Covid-19 » : on n’est pas un héros quand on fait juste son boulot, même si celui-ci comporte des risques.

Au moment d’entrer dans le déconfinement, les chiffres d’hier sont les suivants : 26 380 décès (dont « seulement » 69 pour la journée hier) ; 22 569 patients sont encore hospitalisés, dont 2778 en Réanimation. Dans le même temps, 56 724 patients sont sortis guéris de l’hôpital. Dorénavant je crois que je ne donnerai plus que ce dernier chiffre, moins déprimant que les autres.

En ce qui me concerne, mon quotidien n’a pas vraiment changé, si ce n’est que M. m’a déniché un rendez-vous chez la coiffeuse dans l’après-midi. Je vais faire des jaloux avec ce rendez-vous ultra-rapide… Pour les autres changements, il faudra attendre le week-end.

Les Carnets de la drôle de guerre nous proposent une série de questions sur ce que nous aurons envie de faire ou de ne pas faire avec le déconfinement. C’est assez stimulant d’essayer d’y répondre honnêtement, notamment à celle-ci : préférons-nous la santé ou la liberté ?

L’Académie nationale de médecine a publié un communiqué au ton particulièrement vindicatif, ce qui ne laisse pas de surprendre de la part de cette vénérable institution au discours habituellement plus policé. L’intitulé de ce communiqué donne la tonalité de l’ensemble : « Recherche clinique et Covid-19 : la science n’est pas une option ». Je ne donne ici que les premières phrases, largement suffisantes pour imaginer la suite : « La vérité scientifique ne se décrète pas à l’applaudimètre. Elle n’émerge pas du discours politique, ni des pétitions, ni des réseaux sociaux. En science, ce n’est ni le poids majoritaire ni l’argument d’autorité qui font loi. C’est pourtant dans ce type de dérive que s’est fourvoyée la recherche de traitements médicamenteux actifs contre le Covid-19 : trop de précipitation dans la communication, trop d’annonces prématurées, trop de discordes entre les équipes, trop de pressions de toutes sortes, mais pas assez de science. »

On peut supposer que certains devraient se sentir visés par cette diatribe. Mais le seront-ils vraiment ?


Un site d’informations médicales réservé aux professionnels rapporte les résultats d’une vaste étude menée sur l’hydroxychloroquine dans un grand hôpital de New York, essai clinique qui a porté sur 1400 patients et dont les résultats ont été publiés dans une des revues médicales les plus indiscutables, le New England Journal of Medicine, un must en matière de publication scientifique.

Je ne vais pas rentrer dans les détails techniques, mais il s’agit d’une étude de type observationnel comme celle dont se prévaut le Pr Raoult pour dire que l’hydroxychloroquine est efficace dans le Covid-19. Pour faire court, cette étude tend à montrer que l’hydroxychloroquine, avec ou sans azithromycine, ne sert à rien dans les pneumopathies Covid-19 modérés ou sévères. En temps normal, cette étude devrait clore le débat. Mais nous ne sommes pas en temps normal.

Le bulletin d’aujourd’hui du CDOM (Conseil départemental de l’Ordre des médecins) donne aux médecins les clés pour comprendre la stratégie du déconfinement. Je vous en dévoile les grandes lignes : la réussite du déconfinement repose sur deux bases de données médicales : le SIDEP (Suivi intégré de dépistage et de prévention) et Contact Covid.

Le SIDEP est une base de données anonymisées qui contiendra l’intégralité des résultats des tests PCR. SIDEP servira à la surveillance de l’épidémie par les autorités sanitaires, et à déclencher le plus vite possible le « contact-tracing » grâce à une autre base de données appelée Contact Covid, élaborée par l’Assurance-maladie. Les médecins vont la renseigner via une application qu’ils utilisent déjà couramment, Amelipro. Dans un premier temps l’Assurance-maladie avait proposé une incitation financière pour encourager les médecins à remplir cette fiche. Devant le tollé suscité par cette mesure, notamment chez les médecins eux-mêmes, cette rémunération de 2 € par cas-contact a été supprimée.

Bien entendu se posait le problème du respect du secret médical, tel qu’il est défini par l’article L1110-4 du Code de Santé publique, ainsi rédigé :

« Toute personne prise en charge par un professionnel de santé (…) a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations le concernant. »

Le Parlement a adopté le 9 mai le projet de loi qui autorise une dérogation à cet article L1110-4 à seule fin de lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19 pour une durée limitée, qui n’excèdera pas 6 mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Et on attend pour demain les résultats des délibérations du Conseil Constitutionnel sur cette loi d’exception.

La polémique à propos des masques continue de plus belle. Personne ne semble d’accord sur leur utilité. Quand et où faut-il en porter, de manière obligatoire (les transports en commun) ou facultative ? On a même sorti de sa retraite le Pr Claude Got (à moins qu’il n’en soit sorti de sa propre initiative), 84 ans tout de même, devenu sur le tard spécialiste en accidentologie routière, et encore plus tard spécialiste autoproclamé de l’utilité du masque dans le Covid-19, dont il dit que le gouvernement aurait dû rendre le port obligatoire. Et de pointer six fautes majeures de nos décideurs. Pas une de moins. La vieillesse est décidemment impitoyable.

Je remarque que le conseil qui me semble le plus judicieux vient du petit clip que l’on entend à longueur de journée sur les antennes, appelé « information coronavirus », que probablement plus personne n’écoute vraiment, comme les consignes de sécurité en avion. Les gestes barrières y sont très bien expliqués. À la fin du clip, une phrase indique que si la distanciation physique n’est pas possible, alors il faut porter un masque. Au moins ce conseil est clair et simple à suivre, même s’il ne reflète pas nécessairement la vérité scientifique, si tant est que quelqu’un la connaisse. Le Pr Got n’a aucun doute sur le fait que, lui au moins, la connaît.

Mardi 12 mai, J1 du déconfinement

Le fait du jour, c’est la réouverture partielle et facultative des écoles. Il semble que plus d’écoles que prévu sont rouvertes, en respectant scrupuleusement les préconisations sanitaires, notamment celle-ci, essentielle : pas plus de 15 élèves par classe. Cinquante pour cent des enseignants vont rester en télétravail. Nombreux sont les maires qui ont joué le jeu. Le ministre de l’Éducation nationale indique que seuls 10% des maires ont refusé cette réouverture, pour des raisons variées, dont certaines sont, selon lui, purement politiques.

En répondant à une question sur le maintien de l’épreuve de français du baccalauréat, il a cette jolie formule : « plutôt Phèdre que Netflix » pour expliquer que les élèves doivent se préparer à passer cette épreuve, même s’il n’est pas certain qu’elle pourra être maintenue.

Quatre nouveaux clusters ont été détectés, dont celui en Dordogne dont j’ai déjà parlé. Trois d’entre eux sont situés dans des départements verts (Dordogne, Vendée, Haute-Vienne), et un en île de France. Gageons qu’il y en aura bien d’autres encore.

Les transports continuent de poser des problèmes de respect de la distanciation physique. Mais ils sont loin de fonctionner à plein régime. Il semble que beaucoup de citadins se soient mis au vélo, dont les ventes explosent. Un reportage nous montre un atelier de production dans le Nord, qui est passé de 2 à 20 salariés pour répondre à cette nouvelle demande. C’est sûrement une bonne nouvelle, meilleure en tout cas que si les citadins avaient choisi leur voiture comme alternative au métro ou au bus.

Le transport aérien est autorisé à ne pas respecter les règles de la distanciation physique, dans la mesure où un vol n’est rentable que si l’avion est aux trois quarts plein. C’est logique sur le plan économique, incompréhensible sur le plan sanitaire. Mais cela reflète bien ce que seront les prochains choix stratégiques, qui devront nécessairement naviguer entre des exigences contradictoires.

En Allemagne il semble y avoir une légère recrudescence de l’épidémie, de même qu’en Corée du Sud où un noctambule contaminé a fait la tournée des boites de nuit, qui n’étaient pas fermées.

Et on a vu apparaître quelques cas à Wuhan, point de départ de la pandémie.

On signale deux cas positifs dans l’entourage de Donald Trump, qui a crié sur tous les tons qu’il ne se sentait pas tenu de porter un masque. Serait-ce en raison de l’immunité présidentielle censée le protéger ?

Sur le plan médical, une spécialiste nous explique que jamais un vaccin n’a pu être conçu puis fabriqué en grande quantité en moins d’un an, comme certains nous le promettent. Un délai de dix-huit mois serait déjà un exploit sans précédent.

Un autre spécialiste nous explique que notre système immunitaire se répare pendant que nous dormons, d’où l’importance d’avoir un bon sommeil. C’est plutôt mon cas.

Le CNOM (Conseil national de l’Ordre des médecins) adresse à tous les médecins un courrier expliquant que la loi sur la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, validée le 11 mai dans la soirée par le Conseil constitutionnel, respecte bien ses préconisations, notamment en matière de respect du secret médical. « L’Ordre des médecins n’a eu de cesse, dans les jours qui ont précédé son adoption, par une action déterminée, d’obtenir di Gouvernement et des parlementaires le respect plein et entier du secret médical, socle de la confiance entre le médecin et son patient, socle de notre exercice ».

Le texte indique ensuite la liste des garanties obtenues par le CNOM en la matière. Il poursuit en précisant que « la décision du Conseil Constitutionnel (…) valide le dispositif législatif et nous conforte dans nos exigences. » Il est exclu que des acteurs sociaux aient accès aux informations recueillies dans le cadre de la lutte contre l’épidémie. Le Covid-19 devient, comme le souhaitait le CNOM, une MDO, une maladie à déclaration obligatoire.

Je note en passant que, depuis le début de l’épidémie, on parle de cette nouvelle maladie au masculin, le Covid-19, peut-être par confusion avec le nom du virus (je rappelle qu’il porte le nom très poétique et très méconnu de SARS-Cov-2).

En fait Covid-19 est un anglicisme qui veut dire « Coronavirus disease », le chiffre 19 rappelant que la maladie est apparue en 2019. En toute rigueur, puisque cet acronyme veut dire « maladie du coronavirus », il devrait être féminin. C’est bien au féminin que les Québécois parlent de cette nouvelle maladie, la Covid-19, et c’est ce que recommande l’Académie française, en se fondant sur le fait que le genre d’un acronyme est celui du mot principal (la SNCF ou la RATP, car il s’agit en m’occurrence d’une société ou d’une régie). Il est peu probable que les Académiciens arrivent à changer un usage particulièrement bien établi, même si ce n’est que depuis quelques mois.

Les Carnets de la drôle de guerre s’intéressent au cas de la Suède, seul pays européen à n’avoir pas choisi l’option du confinement, comptant, comme le Royaume-Uni au tout début de l’épidémie, sur l’apparition d’une immunité collective, dite aussi « immunité de troupeau ». Alexandre Lacroix a interrogé un célèbre géographe suédois, Gunnar Olsson, qui lui a expliqué les motivations profondes de ce choix particulier, dont certaines lui semblent plutôt malsaines.

Les seules interdictions ont concerné les réunions de plus de 50 personnes et les visites dans les maisons de retraite. Le télétravail était simplement recommandé, mais pas le port d’un masque dans la rue. Olsson explique que cette stratégie s’est révélée extrêmement populaire, ce que les confinés de tous les pays peuvent comprendre. En revanche, ce qu’un Français de base aura bien du mal à comprendre, c’est la confiance totale que les Suédois ont en leurs dirigeants, confiance qui se traduit par une très grande obéissance des citoyens.

Historiquement cette confiance peut s’expliquer par le régime de monarchie parlementaire qui existe en Suède depuis le XVIIème siècle, ce qui n’est pas le cas en Norvège ou au Danemark. (Aussi bizarre que cela puisse paraître pour un si petit pays, il y a eu un impérialisme danois). De plus, depuis 1917, c’est le même parti de tendance social-démocrate qui est aux commandes du pays, qui génère une forme d’unanimisme favorable à la confiance.

La stratégie sanitaire de la Suède a été établie par l’épidémiologiste Anders Tegnell, devenu une star dans son pays. Olsson nous dit que le style du personnage plaît aux Suédois : c’est un bureaucrate « sérieux et ennuyeux », qui ne fait pas de discours enflammés. Je crois bien qu’un tel personnage aurait du mal à être populaire chez nous. Nous préférons clairement des personnalités flamboyantes comme le Pr Raoult, surtout si elles sont clivantes.

Mais les résultats en matière de mortalité montrent que la Suède fait nettement moins bien que ces voisins scandinaves, adeptes du confinement. Il attend de voir ce que cette stratégie d’immunité collective va donner. Mais, en tant que géographe, cet homme de 85 ans dit s’intéresser non pas tant au virus qu’à la manière dont une épidémie affecte les relations sociales. Et, sur ce plan, il nous fait part de son inquiétude : « Comment sommes-nous devenus si prévisibles et si obéissants, alors même que nous vivons en démocratie ? »

Dans ses périodes de pessimisme, il lui arrive de penser que les conditions pour l’apparition du totalitarisme sont réunies. Et il n’aime pas trop cette manière peu sympathique qu’ont les Suédois de ne pas faire comme tout le monde, de se croire meilleurs que les autres nations, qui exalte leur nationalisme de Vikings. Il donne en exemple le fait que le parti d’extrême droite appelé Parti des démocrates du Suède ait osé déclarer que la mort des personnes âgées dans les maisons de retraite était le prix à payer pour se débarrasser des migrants qui travaillent dans ces établissements. Il dit ne pas tant craindre l’épidémie, bien qu’il soit particulièrement à risque du fait de son âge, « que les fantômes du passé qu’elle réveille ».

Les émissions d’informations semblent délaisser le domaine sanitaire pour celui de l’économie. Je crains que, de ce point de vue, ce ne soit de pire en pire au fil des semaines. Surtout si certains syndicats, comme la CGT à l’usine Renault de Sandouville, font de l’obstruction systématique, au grand scandale de la CFDT.

Abbaye du Thoronet

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