top of page

Questions vaccinales pour 2021

Le 11 novembre 2019 je publiais sur ce blog un propos intitulé « La vaccination : pour ou contre ? ». Ce billet m’avait été inspiré par la campagne de vaccination contre la grippe, pour laquelle les Français étaient toujours aussi réticents, attitude qui agace beaucoup le philosophe Francis Wolf, entre autres. Ce dernier dit une chose qui me semble très juste : « La médecine vaccinale est tout de même la meilleure des médecines : non seulement la plus efficace et la plus économique, mais aussi la plus maligne au sens intellectuel du terme : elle consiste à utiliser les armes de la nature contre elle-même, à prévenir le mal par le mal en le retournant en bien ». Mais, à ce moment-là, le monde ne parlait pas encore de l’épidémie de Covid-19, puisqu’on ne connaissait pas cette toute nouvelle virose. Nous apprendrons a posteriori que les premiers cas de la maladie sont vraisemblablement apparus fin 2019.

Il n’est pas question ici de refaire l’histoire de la pandémie, mais de se souvenir que, lors du confinement du printemps 2020, tous les scientifiques nous affirmaient qu’il était absolument impensable qu’un vaccin puisse être développé et disponible en moins d’une année. Cela ne s’était tout simplement jamais fait, et cela semblait techniquement impossible. Personne n’aurait parié un kopek qu’en décembre de la même année deux vaccins, d’une technologie révolutionnaire, seraient autorisés par les agences du médicament européenne et française, sans même parler de leurs homologues britannique, américaine et israélienne. La vaccination a pu commencer dans l’Union européenne fin décembre 2020, et même plus tôt en Chine et en Russie, pays qui disposent de leur propre vaccin.

Je rappelle que nous ne disposons toujours pas de vaccin contre le Sida, maladie qui a émergé il y a quarante ans. En revanche les personnes infectées par le VIH disposent depuis longtemps de médicaments, la fameuse trithérapie, qui leur permettent d’avoir la même espérance de vie que le reste de la population, alors que la recherche médicale n’a toujours pas trouvé d’antiviral efficace contre le Sars-CoV-2, quoi qu’en dise le Pr Raoult.


Faisant partie du personnel soignant de plus de 50 ans de l’hôpital dans lequel je travaille, j’ai pu bénéficier de la première dose de vaccin Pfizer-BioNTech le jour même où la vaccination a été organisée. J’ai même réussi à faire vacciner mon épouse, infirmière à la retraite, en profitant de la fameuse 6ème dose de fond de flacon, prévu pour 5 doses par le laboratoire (depuis, le laboratoire Pfizer, rappelant qu’il vend des doses et non des flacons, a diminué d’autant ses livraisons de flacons). Une semaine plus tard je devenais à mon tour médecin vaccinateur dans le centre ouvert dans ce même hôpital. Ma femme et moi attendons la deuxième dose, programmée dans une dizaine de jours, avec l’espoir que la pénurie mondiale de doses ne nous empêchera pas de recevoir cette seconde injection. Mais assez parlé de moi.


Ce vendredi 29 janvier 2021 nous apprenions plusieurs nouvelles importantes, une bonne et deux mauvaises, du moins pour la fierté française. La bonne nouvelle, c’est l’autorisation accordée par les autorités sanitaires au 3ème vaccin, celui d’Astra Zeneca, développé à Oxford. La mauvaise, c’est l’abandon, par l’Institut Pasteur, de son candidat vaccin, qui n’a pas franchi la première étape celle de la phase I. Autre mauvaise nouvelle, le vaccin développé par Sanofi, géant français de la vaccination, ne sera pas prêt avant la fin de l’année 2021. Pour tous ceux qui avaient annoncé qu’ils n’auraient confiance qu’en un vaccin fabriqué en France, le coup est rude. De même pour tous ceux qui voient dans cette information la preuve du déclassement de la France, comme la plupart des opposants politiques au pouvoir en place.

Au rang des bonnes nouvelles, il est possible d’inclure le fait que les Français, qui se déclaraient récemment hostiles à la vaccination à près de 60%, tout comme les Allemands, chose plus surprenante, semblent actuellement plutôt pressés de se faire vacciner en masse. Et, malheureusement, les doses manquent cruellement pour satisfaire tous les impatients, autre sujet de polémique et de mécontentement.


Mais cette vaccination contre le Sars-Cov-2 (si l’on considère que la vaccination protège contre un virus), ou contre la Covid-19 (si l’on choisit l’option que la vaccination est dirigée contre une maladie), pose un certain nombre de questions, dont les trois plus importantes sont les suivantes : les vaccins se contentent-ils de protéger contre les formes graves de la maladie, ou bien permettent-ils aussi d’éviter la contagiosité ? Quelle est la durée de la protection qu’ils procurent ? Les vaccins actuellement disponibles seront-ils efficaces contre les variants du virus, qui deviennent prépondérants ? Pour l’instant il ne semble pas y avoir de réponse définitive à ces trois questions, ce qui est bien légitime puisqu’il s’agit de vaccins très récents, pour lesquels nous manquons singulièrement de recul.


Les deux premiers vaccins disponibles, développés par Pfizer-BioNTech et par Moderna, utilisent une toute nouvelle technologie, l’ARN messager (ARNm), qui consiste à injecter dans l’organisme une séquence d’ARN viral qui permet aux cellules de produire l’élément étranger capable de stimuler notre système immunitaire pour induire une réponse protectrice contre le virus. Précisons qu’à aucun moment l’ARNm ne pénètre l’ADN, lequel ne peut donc pas être modifié. Cette crainte est à balayer d’un revers de la main, selon les scientifiques. À chaque fois que j’ai entendu un expert nous expliquer pourquoi cette peur était absolument infondée, ses explications étaient tellement techniques, donc sophistiquées, que même moi, qui suis pourtant médecin, n’y comprenais rien. Et pourtant, l’explication que je viens de donner (et qui n’est pas de moi) me semble assez facile à comprendre.

L’ARNm génère beaucoup d’inquiétude, comme toute nouvelle technique, et c’est bien normal. Et pourtant, cette technologie, utilisée depuis une vingtaine d’années en médecine vétérinaire, est extrêmement prometteuse, et dans de nombreux domaines, notamment l’oncologie.


La compréhension du fonctionnement des vaccins à ARNm passe par l’épigénétique, branche de la biologie qui s’est développée dans les années 1990, qui étudie les mécanismes de transcription ou d’interprétation de l’ADN par l’ARN à l’intérieur des cellules. L’ARN travaille à la surface de l’ADN (d’où le préfixe « épi »), mais ne le modifie pas. La philosophe Catherine Malabou utilise une métaphore assez parlante : il y a de nombreuses façons d’interpréter une partition musicale, mais celle-ci reste inchangée. La partition, c’est l’ADN ; les interprétations sont du ressort de l’ARNm.


Revenons à la première des deux questions soulevées, celle d’une possible contagiosité des personnes vaccinées. Ce point est essentiel car il y a deux raisons de se faire vacciner, l’une personnelle, qui est de se prémunir soi-même contre la maladie, ou à tout le moins contre les formes graves, comme cela semble être le cas pour la vaccination contre la Covid-19, et une raison collective, disons altruiste, une sorte d’acte citoyen, qui est d’augmenter l’immunité collective pour participer à l’éradication de la maladie. Il est clair que si le vaccin ne devait pas empêcher la transmission du virus par les personnes vaccinées, l’argument collectif tomberait complètement. La seule raison qui resterait de se faire vacciner serait d’éviter, individuellement, de développer une forme grave, ce qui aurait malgré tout un intérêt collectif, puisque le nombre de patients Covid+ en réanimation diminuerait drastiquement. Il serait alors possible de lever un certain nombre de gestes barrières, et de retrouver une vie à peu près normale, un monde dans lequel le virus continuerait à circuler sans faire trop de dégâts. Mais l’immunité collective ne serait alors jamais atteinte. Rappelons un paradoxe : si un vaccin empêche la transmission d’une maladie contagieuse, ce qui finit par protéger tout le monde par la création d’une immunité de groupe, alors chacun peut se dire qu’il n’a pas besoin de se faite vacciner, puisqu’il est protégé par la vaccination des autres, évitant ainsi de possibles effets secondaires pour soi-même. Le problème, c’est que si tout le monde tenait ce genre de raisonnement, l’épidémie continuerait à prospérer indéfiniment.


La seconde question est celle de la durée de l’immunité procurée par le vaccin. Je rappelle que certains vaccins, comme celui contre la rougeole, procurent une immunité définitive au prix d’une seule injection dans l’enfance. D’autres vaccins ne procurent qu’une immunité temporaire, de l’ordre d’une année. Quand la maladie revient, souvent en hiver, il est nécessaire de se refaire vacciner. C’est le cas de la grippe, maladie dans laquelle le virus mute en permanence, ce qui fait que le vaccin de l’année précédente n’est plus efficace contre le variant du moment. Mais chaque année le vaccin prend en compte les mutations survenues depuis l’année précédente.

En ce qui concerne la vaccination contre la Covid-19, il semble que nous soyons plutôt dans le second schéma : non seulement l’immunité procurée par le vaccin semble n’être que de quelques mois, mais encore de nouveaux variants (autre nom des mutants) prennent rapidement la place de la souche initiale : variants britannique, sud-africain, brésilien, etc. Il est même possible que nous parlions, dans quelques mois, de la Covid-21 et non plus 19, si les variants s’éloignent trop de l’original, et qu’ils finissent par le supplanter ! Pour l’instant il semblerait que les deux vaccins disponibles soient efficaces contre le variant britannique. Mais qu’en est-il des autres variants, et qu’en sera-t-il des autres vaccins ? Aurons-nous un jour un vaccin efficace contre tous les variants, présents et à venir ? Personne ne peut répondre à cette question.


Le fait que toutes ces questions, pour importantes qu’elles soient, n’aient pas encore de réponse, doit-il nous inciter à la prudence vis-à-vis de la vaccination ? Beaucoup de personnes interrogées, même des scientifiques ou des intellectuels, disent qu’elles préfèrent attendre un peu avant de se faire vacciner, en vertu du principe de précaution, que la frileuse France a inscrit dans sa Constitution. Personnellement je suis persuadé qu’il faut se faire vacciner, et sans attendre. Si l’on active la fameuse balance bénéfice/risque, il me semble qu’elle penche très largement du côté des bénéfices, surtout pour les personnes à risque, cette vaccination affichant un taux de protection exceptionnellement élevé pour un vaccin, et un nombre très faible d’effets secondaires, la plupart bénins.

Les vaccins de type classique, qui consistent à injecter des parties plus ou moins importantes d’un virus, sont associés à des risques, à savoir la probabilité de développer des effets secondaires, probabilité qu’il est possible de calculer. Avec les nouveaux vaccins à ARM messager, il ne s’agit plus de risque, mais d’incertitude, du fait de l’absence de recul. Mais il est raisonnable de parier, avec l’épistémologue Philippe Huneman, que cette incertitude se transformera rapidement en un risque quantifiable, au fur et à mesure que nous aurons des données chiffrées sur leurs effets.


J’aimerais rajouter un mot sur ce fameux principe de précaution, qui incite beaucoup de Français à attendre un peu avant de se faire vacciner, et qui consiste, pour faire court, à ne pas prendre de décision tant qu’on n’a pas la réponse à certaines questions. Le problème est que, bien souvent, pour obtenir ces réponses, il faut d’abord prendre des décisions. Dans ces conditions le principe de précaution se résume le plus souvent à attendre que les autres aient essuyé les plâtres avant de se lancer, ce qui est peut-être une des raisons du supposé déclassement français. Si nos voisins ont eu raison pendant que nous les regardions avancer, le retard que nous aurons alors accumulé ne sera jamais rattrapé. Ce raisonnement est valable dans tous les domaines de recherche.


Ce type d’argumentation peut suffire à convaincre les hésitants, mais ne fera jamais changé d’avis les fameux « antivax », dont l’hostilité à toute forme de vaccination relève d’une attitude de type conspirationniste, comme cette théorie extravagante selon laquelle le virus aurait été fabriqué par Bill Gates et consorts pour inonder le monde de vaccins, et gagner ainsi des sommes colossales ! Quand on pense que la fondation de Bill Gates et de sa femme Melinda dépense une bonne partie de leur fortune personnelle pour éradiquer certaines maladies dans les pays pauvres, on conçoit l’absurdité d’une telle hypothèse. Passons…

Fort heureusement il semblerait que les antivax authentiques soient peu nombreux dans notre pays, contrairement à l’Allemagne, qui n’est peut-être plus le modèle de peuple discipliné que l’on nous vantait naguère.


Il reste une dernière question, d’une grande importance théorique et pratique. De nombreuses personnalités médicales et politiques souhaitent que le vaccin devienne un « bien commun de l’humanité ». C’est notamment le cas du Directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, et de l’infectiologue et épidémiologiste suisse Didier Pittet, qui a offert à l’OMS la formule de deux gels hydro-alcooliques pour que tous les pays, même les plus pauvres, puissent les fabriquer. Le gel hydro-alcoolique est ainsi devenu, grâce à lui, un bien commun. C’est la même chose pour le génome du Sars-CoV-2, que le célèbre virologue allemand Christian Drosten, qui l’a décrypté le premier, a offert à l’OMS, pour que tout le monde puise fabriquer des tests sans payer de royalties. Didier Pittet est l’auteur du livre Vaincre les épidémies, dont j’ai retranscrit de larges extraits dans ce blog.


En juin 2020, 154 leaders d’opinion du monde entier, notamment des prix Nobel, ont signé une lettre appelant les organisations internationales non gouvernementales et les gouvernements à affirmer que le vaccin contre la Covid-19 était un bien commun de l’humanité, et à agir en conséquence. Cet appel disait notamment que « la seule façon d’éradiquer définitivement la pandémie est de disposer d’un vaccin qui puisse être administré à tous les habitants de la planète, urbains ou ruraux, hommes ou femmes, vivant dans des pays riches ou pauvres ».

Cependant la notion de bien commun de l’humanité n’est pas aussi simple à définir qu’on pourrait le penser, car elle est une construction sociale qui dépend de valeurs éthiques, religieuses, juridiques et politiques qui sont très variables d’un pays à l’autre, et de plus susceptibles d’évoluer avec le temps.

En ce qui concerne les deux premiers vaccins disponibles, qui utilisent l’ARNm, il est facile de concevoir les énormes difficultés qu’il y aurait à les déployer dans des pays en voie de développement, pour des raisons logistiques, ces vaccins devant être conservés à très basse température, et des raisons économiques eu égard au prix où les doses sont vendues dans les pays riches. Les prochains vaccins, qui se conservent à température ambiante, et qui sont nettement moins coûteux à produire, seront probablement plus faciles à déployer sur l’ensemble de la planète. Mais j’ai du mal à imaginer que les laboratoires pharmaceutiques qui les fabriquent acceptent de les vendre à prix coûtant. Peut-être qu’une fondation comme celle de Bill et Melinda Gates serait capable de les acheter au meilleur prix aux laboratoires pour les mettre à la disposition des pays pauvres ?

23 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

La France, chantre de la laïcité ?

En France, berceau de la laïcité, les questions de fin de vie n’échappent pas à l’emprise du fait religieux.

Sémantique de l'aide à mourir

Chacun connaît l'importance des termes médicaux. Dans la fin de vie, ces questions de sémantique sont très prégnantes.

bottom of page