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Trois pincées de politiquement incorrect

Dernière mise à jour : 27 sept. 2020

En France comme dans pratiquement tous les pays du monde, la pandémie de Covid-19 a engendré le même type de comportement assez inédit, à savoir la volonté clairement affichée de « sauver des vies », le maximum de vies, y compris celles des nonagénaires en fin de parcours, et cela « quoi qu’il en coûte », comme nous l’a martelé notre président Emmanuel Macron.

Ce qui a changé d’un pays à l’autre, c’est la manière d’arriver à ce résultat, c’est-à-dire les décisions prises par le pouvoir politique éclairé par les scientifiques, les sachants. Et l’on a vu apparaître sur la scène médiatique nombre d’infectiologues et de virologues, le plus souvent auréolés d’un titre de professeur, comme Christian Drosten en Allemagne, Anthony Fauci aux États-Unis, incapable d’empêcher son président de conseiller publiquement aux Américains de boire de l’eau de Javel pour se protéger contre le coronavirus, Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique français et son rival officieux, aussi médiatisé que controversé, le désormais célèbre Didier Raoult. Mais, quel que soit leur façon de gérer la crise sanitaire, la grande majorité des dirigeants politiques ont accepté de mettre leur pays à l’arrêt plus ou moins complet pendant une durée plus ou moins longue. Cette prééminence de la médecine sur l’économie est absolument inédite dans l’histoire de l’humanité, et la plupart des médecins que l’on entendu s’exprimer sur les plateaux de télévision s’en sont réjouis. Bel exemple d’unanimité. Quoi que…


J’aimerais en effet faire entendre trois voix dissonantes qui ne se privent pas de nous dire que, selon leurs propriétaires, nous en avons fait beaucoup trop. Ces trois voix appartiennent à deux philosophes bien connus, André Comte-Sponville et Bernard-Henri Lévy, et à un médecin-écrivain dont j’ai déjà eu l’occasion de parler, Luc Perino, auteur d’un ouvrage chroniqué dans ce blog, Darwin viendra-t-il ? Ces trois voix sont françaises, mais il n’est pas exclu que de tels discours à contre-courant de l’opinion dominante soient tenus ailleurs que chez nous.

Commençons par André Comte-Sponville, dont j’ai déjà dit dans mon Journal du temps de l’épidémie, que je trouvais très salutaire son coup de gueule. La première fois que je l’ai entendu s’exprimer sur ce sujet, c’était au début du déconfinement, lorsque le Conseil, scientifique avait suggéré, fugitivement, de ne pas déconfiner les « seniors », catégorie à laquelle il appartient, du fait de ses 68 ans, tout comme, de manière plutôt ironique, Jean-François Delfraissy qui venait d’atteindre l’âge critique de 72 ans à ce moment-là. Notre philosophe trouvait absurde cette idée de vouloir protéger de force des gens âgés susceptibles d’attraper la maladie et d’en mourir, tout en admettant le bien-fondé du confinement généralisé destiné à endiguer la progression du virus dans la population. Fort heureusement cette proposition médicale n’a pas été retenue par les responsables politiques. Comte-Sponville affirme ne plus vouloir que son pays soit « gouverné par la peur ». Les gens ont peur, les politiques ont peur, tout le monde se protège, et cela, selon lui, au détriment des enfants et des jeunes, notamment ceux qui viennent de terminer leurs études et qui ne trouveront pas de travail dans une économie sinistrée. Il refuse que l’on sacrifie toute une génération pour protéger la santé de leurs parents ou de leurs grands-parents. « Une société ne peut pas avoir les octogénaires pour priorité ».

Comte-Sponville s’insurge contre ce qu’il appelle le « panmédicalisme », nom qu’il donne à ce pouvoir exorbitant donné par la société aux médecins.

Dans un entretien mené par Francis Brochet, il reconnaît être plus critique envers les médias que les gouvernants dans sa dénonciation de ce climat de peur généralisée : « Les gouvernants font un métier tellement difficile, quand même plus difficile que philosophe ou journaliste ! » Et le papier de se terminer par un appel à réhabiliter d’urgence la politique : « Le populisme est délétère, le « tous pourris » est le plus bête des slogans. »

Passons ensuite à Bernard-Henry Lévy qui s’est fendu d’un petit livre de circonstance, Ce virus qui rend fou (Grasset). On y retrouve tout le lyrisme dont BHL est capable quand il s’agit de défendre une cause qui lui tient à cœur. Cela part un peu dans tous les sens, et il est question, pêle-mêle, de Pascal, d’hygiénisme ou encore de la philosophie, de la mystique et de la médecine juives, ce qui nous éloigne quelque peu du coronavirus, quoi qu’à un moment, pour parler des propos antisémites dont ont été victimes Agnès Buzyn, son mari Yves Lévy ou encore Jérôme Salomon, descendant direct d’Alfred Dreyfus, BHL évoque un « judéovirus » venu prendre la place imaginaire du « virus chinois ». Ces considérations camouflent un peu du vrai sujet.

Ce qui a sidéré notre auteur, ce n’est pas tant l’irruption de la pandémie virale que celle de la peur qui a saisi le monde entier, au point de réussir le prodige de mettre entre parenthèses la plupart des conflits qui agitaient le monde. Pour décrire cette peur généralisée, BHL parle de « Première Peur mondiale ». Il évoque le cas du Bangladesh, pays parmi les plus pauvres du monde, dans lequel les habitants meurent en masse du fait de toutes sortes de maladies, et qui s’est senti obligé de se confiner du fait du recensement de quelques cas de Covid-19.

BHL cite un médecin allemand très célèbre, le père de l’anatomie pathologique, Rudolf Virchow : « Une épidémie est un phénomène social qui compte quelques aspects médicaux ». C’est assez provocateur, car ce serait plutôt l’énoncé inverse que l’on attendrait. Parmi ces aspects non médicaux, certains sont heureux, comme le civisme et la solidarité, mais d’autre sont plutôt fâcheux.

BHL dit avoir été frappé par la montée du « pouvoir médical », autre dénomination du « panmédicalisme ». Et il nous rappelle que la liste est longue des médecins qui ont influencé le pouvoir, à commencer par le plus célèbre d’entre eux, puisque sa conception de la médecine a prévalu jusqu’à la Renaissance, Galien, qui était très proche de l’empereur-philosophe Marc Aurèle. Il évoque également l’irruption quotidienne du Pr Salomon, Directeur général de la Santé, sur nos écrans, venant faire le décompte macabre des morts de la journée. BHL reconnaît cependant que « face à un épisode sanitaire dont les ressorts restent inconnus, il vaut mieux une blouse blanche qu’un gilet jaune, ou (…), aux États-Unis, qu’un président irresponsable qui recommande de se soigner en ingurgitant du désinfectant ». Et il est vrai que cette conférence de presse quotidienne de Donald Trump, vue de chez nous, avait quelque chose de totalement surréel.

L’auteur nous rappelle qu’il n’est pas tout à fait un novice en ces matières, puisqu’il est entré en philosophie par le biais de l’épistémologie, qu’il a enseignée, et qu’il se revendique disciple de Georges Canguilhem, l’auteur d’un livre de référence en la matière, Le normal et le pathologique.

Selon BHL « il fallait ne pas se laisser intimider, somme toute, par le faux débat de « la vie » et de « l’économie » mais comparer le coût, en vies, du déferlement viral d’un côté et de la glaciation provoquée, de l’autre, par ce coma auto-infligé à la quasi-totalité de la planète transformée en laboratoire d’une expérience politique radicale ». Il me semble que ce type de raisonnement, qui évoque la philosophie utilitariste anglo-saxonne, peu pratiquée en France, aurait eu du mal à passer chez nous. Les Anglais ont adopté, dans un premier temps, ce type de raisonnement, en prônant le laisser-faire, mais on dû assez vite l’abandonner, et se confiner comme le reste de la planète, avec d’ailleurs des résultats plutôt mitigés.

Terminons ce tour d’horizon de la contestation du discours dominant en citant assez longuement Luc Perino, qui avait écrit il y a vingt ans un très intéressant petit livre personnel, La Sagesse du médecin, qui est ressorti en mai 2020, en pleine pandémie, avec un addendum passionnant, Épilogue à l’aune d’une pandémie. Je crains que ce texte essentiel ne soit pas lu par grand monde, perdu qu’il est à la fin de la réédition d’un petit livre paru chez un éditeur assez confidentiel, les Éditions du 81. Et je trouve cette situation très regrettable tant le discours iconoclaste de ce médecin me semble essentiel, en plus d’être remarquablement bien écrit. Parenthèse : l’auteur utilise le masculin pour Covid-19, en vigueur au moment de la rédaction de son texte, tout en précisant que le genre féminin serait plus logique. C’est ce féminin que préconise actuellement l’Académie française, et que, personnellement, j’ai un peu de mal à adopter. Force de l’habitude, quand tu nous tiens !

Luc Perino commence par rappeler, lui aussi, que la moyenne d’âge des morts du Covid-19 est de 80 ans dans un pays où l’espérance de vie est de 81 ans. Et il avait suggéré, lors de la canicule de 2003, que la surmortalité des personnes âgées à cette occasion était un excellent indicateur du très bon état sanitaire de notre pays. En effet, dans les pays à faible niveau sanitaire, toutes les tranches d’âge sont touchées par les crises sanitaires, et notamment les enfants. La misère est, de loin, la première cause de mortalité dans le monde, ne l’oublions pas.

Là où Comte-Sponville parle de panmédicalisme et BHL de Première Peur mondiale, Perino évoque ce qu’il nomme la « démesure infectieuse », autrement dit « le fait de considérer les maladies d’origine infectieuse avec une angoisse démesurée, sans rapport avec leur réalité ». Les microbiologistes parlent de « pression parasitaire » pour désigner les dégâts occasionnés par les micro-organismes dans leur ensemble, bactéries et virus compris. Cette pression parasitaire est infiniment moindre dans les pays développés comme le nôtre, et elle ne fait que baisser avec les progrès de l’hygiène au sens large (ce qui inclut, outre l’hygiène proprement dite, la sécurité alimentaire, la vaccination, les antibiotiques et j’en passe). Il semblerait que plus la pression parasitaire baisse, plus on l’accepte difficilement. Il suffit de compter les plaintes déposées contre des membres du gouvernement pour s’en convaincre. La mort d’un nonagénaire dans son EHPAD est portée dorénavant au débit de nos gouvernants, qui devront en rendre compte devant la Justice !

Et l’on a tendance à oublier que la létalité de toutes les maladies, infectieuses ou pas, augmente avec l’âge des patients atteints par ladite maladie (je rappelle, parce que manifestement cette terminologie est mal utilisée dans tous les médias, que la létalité désigne le nombre de gens qui meurent d’une maladie parmi ceux qui en sont atteints, alors que la mortalité, c’est le nombre de morts de la maladie dans la population prise dans son ensemble). « Une maladie qui fait quelques dizaines de morts chez des personnes âgées et fragiles est vécue avec la même dramaturgie sociale et sanitaire que les épidémies qui décimaient tous les âges d’une population. »

À l’autre extrémité de la pyramide des âges, Luc Perino, conscient du caractère politiquement incorrect de ses propos, et à l’unisson avec André Comte-Sponville, met en parallèle les millions de jeunes gens en bonne santé que l’on envoyait autrefois mourir à la guerre au nom d’une certaine idée de la liberté, et les millions de jeunes gens de 2020 que l’on prive de cette même liberté pour la survie hypothétique de quelques personnes âgées ou fragiles. Pour être honnête, j’ajouterais que la mort d’un seul soldat français en opération au Sahel est actuellement vécue comme un drame national.

« Ceux qui avaient déclaré que le Covid-19 n’était qu’une grippe banale ont tous fini par se rétracter, voire à se muer en alarmistes pour expier leur faute ». Et pourtant, si l’on reste factuel, il suffit de comparer la pandémie actuelle à celles des cent dernières années, en tenant compte du fait que le bilan définitif du Covid-19 ne pourra pas être établi tant qu’elle n’aura pas cessé. La grippe « espagnole » de 1918-1919, à virus H1N1, a fait 400 000 morts en France, 50 millions de par le monde. Ce fut la pire de toutes les pandémies récentes. Curieusement, il semble qu’elle soit partie, elle aussi, de Wuhan. Son qualificatif d’espagnole lui vient du fait que l’Espagne ne faisait pas partie des pays belligérants, et pouvait donc communiquer sur son nombre de morts sans incidence sur l’issue du conflit. Plus près de notre époque, il y a eu deux pandémies très sévères de grippe, celle de 1957-1958, due au virus H2N2 et celle de 1969-1970, provoquée par le virus H3N2, toutes deux originaires d’Asie. Celle de 1957-1958, dite « grippe asiatique », a provoqué 100 000 décès en France, 2 millions dans le monde. Celle de 1969-1970, la « grippe de Hong Kong », a été responsable de 30 000 décès en France, et d’un million dans le monde. La gravité du Covid-19 peut donc se comparer à celle de la grippe de Hong Kong, ce que pas un seul média, pas un seul politique, pas une seule organisation internationale n’a souligné.

Luc Perino rappelle que l’on peut faire dire toutes sortes de choses aux chiffres selon la façon dont on les présente. Une valeur absolue de 30 000 morts est plus anxiogène qu’un taux de létalité de 4%. Et pourtant c’est la même réalité. Il est plus terrifiant d’évoquer 200 000 patients atteints que de parler d’un taux d’incidence de 0,3% (l’incidence mesure le nombre de patients atteints dans la population). De même l’adjectif « exponentiel », qui a récemment fait irruption dans le vocabulaire médiatique, donne des frissons dans le dos. Mais, selon notre auteur, la courbe exponentielle n’existe pas en infectiologie, paradis de la courbe de Gauss et de la régression logistique (dont je ne vous ferai pas l’injure de rappeler la définition).

Pour Luc Périno, la plus grande malhonnêteté intellectuelle dans le maniement des chiffres, consiste à faire des additions avec « des carottes et des lapins », comme il le dit joliment. Il cite plusieurs exemples, mais un seul suffira à comprendre ce qu’il veut dire : on ne peut pas additionner des maladies et des tests positifs. Et comment comptabiliser les patients polypathogiques en fin de parcours, porteurs du coronavirus : sont-ils morts du Covid-19 ou avec le Covid-19 ? Tout est question de différences culturelles.

Il est très difficile de prouver l’efficacité d’un médicament sur les nombreuses maladies aiguës qui guérissent spontanément sans séquelles dans 95% des cas, comme la grippe ou le Covid-19. Pour y arriver, il faut élaborer des essais cliniques englobant des dizaines, voire des centaines de milliers de patients, ce qui s’avère le plus souvent irréalisable. « Les statisticiens s’amusent de la querelle de la chloroquine, car aucun essai ne comporte assez de patients pour être recevable ». En revanche il faut nettement moins de patients pour tester l’efficacité d’un médicament sur la détresse respiratoire, car le critère d’évaluation est simple et rapidement constaté, la survie ou la mort. Luc Perino rappelle qu’au début de l’épidémie de SIDA, dont la létalité était de 100%, l’urgence autorisait à prendre tous les risques thérapeutiques. Et le SIDA reste la seule maladie virale pour laquelle existe un traitement antiviral efficace, la trithérapie.

« Une épidémie résulte toujours de la rencontre entre un pathogène (virus ou bactérie) et une population immunologiquement vierge ». Cette rencontre peut provenir d’une mutation (le virus de la grippe mute chaque année), ou d’une rupture environnementale, comme la déforestation qui favorise l’émergence des zoonoses. Et il faut considérer l’environnement dans son ensemble, pour essayer d’expliquer, malheureusement sans y parvenir vraiment, pourquoi la létalité d’un même virus est tellement différente d’un pays à l’autre (un seul exemple, particulièrement frappant : le SARS-CoV-2 est responsable de 4 morts par million d’habitants en Corée du Sud, contre 400 en Espagne).

Le politique « doit naviguer à vue entre le romantisme de l’urgence, l’obnubilation de l’apocalypse, les egos des experts, l’obscurantisme des réseaux sociaux, les exigences déraisonnables des citoyens ; sans forcément être lui-même épargné par tous ces traits. Toute décision sera assurément jugée inadaptée, surtout en France où la contestation est culturelle ». On ne saurait mieux résumer le débat quelque peu hystérique qui agite la société française quand il s’agit de la pandémie en cours.

L’auteur compare ensuite deux attitudes diamétralement opposées, le confinement maximal et le laisser-faire intégral destiné au développement espéré d’une immunité de groupe. Le confinement était probablement la meilleure option pour un pays comme le nôtre, et les Français l’ont accepté sans trop regimber. Le choix opposé, celui de la « vaccination naturelle de la population » par le développement de l’immunité collective, est sans doute le meilleur pour une maladie à faible létalité et un pays à faible population, qui plus est composée de gens éduqués et peu contestataires. La Suède correspond bien à ce modèle. Il sera très intéressant de comparer les futurs résultats obtenus par trois pays très proches en termes de profil démographique, d’infrastructures sanitaires, d’éthique et de niveau d’éducation. Ces trois pays sont la Belgique, qui a fait le choix du confinement maximal, la Suède, qui, à l’inverse, a opté pour l’immunité de groupe, et les Pays-Bas, qui ont pris des mesures intermédiaires. Pour l’instant nous n’avons pas la réponse à ce qui s’apparente à un essai clinique naturel de très grande envergure. Patience … Peut-être en saurons-nous plus dans deux ans.

Après ce détour par l’Europe, Luc Perino revient en France, qu’il décrit sobrement et parfaitement de la manière suivante : « La France est un pays surmédicalisé à protection sociale élevée avec une hiérarchie hospitalo-universitaire pyramidale et une tradition jacobine. Le risque d’engorgement hospitalier y était donc maximal ».

Au cours des cinquante dernières années les notions de soin et d’urgence ont considérablement évolué dans les esprits, mais pas tellement les épidémies elles-mêmes (cf. le parallèle fait plus haut avec la grippe de Hong Kong). Mais la capacité du corps médical à les détecter s’est nettement améliorée. Et la modélisation mathématique des épidémies est apparue, qui permet d’imaginer des scénarios évolutifs assez fiables. Cependant ces progrès n’ont pas été correctement assimilés, avec comme conséquence néfaste que de nos jours la peur précède l’épidémie au lieu de la suivre. Auparavant l’économie ralentissait du fait du décès de ceux qui la faisaient vivre ; « aujourd’hui l’économie est mise à l’arrêt alors que ceux qui en constituent la force vive sont tous en bonne santé ».

Et pour terminer son plaidoyer, l’auteur évoque la mondialisation, bénéfique en harmonisant les systèmes immunitaires, délétère de par la rapide extension des pandémies. Elle a aussi uniformisé les cultures sanitaires, de façon parfois absurde. Comme BHL, Luc Perino cite le cas du Nigéria, le plus peuplé des pays africains (180 millions d’habitants), qui a recensé, selon un média bien informé, 40 cas de décès par Covid-19. La belle affaire ! Que peuvent bien peser ces 40 décès dans un pays qui déplore chaque année 100 000 morts par paludisme, dans l’indifférence à peu près totale des pays riches ? le Nigéria, dont la pyramide des âges est l’inverse de la nôtre (ce qui explique probablement que les pays africains aient une très faible mortalité par Covid-19) subit une « pression parasitaire » beaucoup plus forte que la nôtre. Il n’empêche, le Nigéria, comme toute l’Afrique, est inclus par l’OMS dans l’alerte mondiale. Ce n’est pas faire injure aux Africains que de dire que, sur le plan sanitaire, ils devraient avoir d’autres chats à fouetter que le coronavirus. Luc Perino émet l’hypothèse, assez vraisemblable, que « les peuples africains et leurs dirigeants parodient nos peurs pour ne pas se sentir exclus de la grande communauté internationale…. L’OMS qui orchestre cette parodie semble avoir oublié que les problèmes sanitaires ne sont pas les mêmes en Suède et en Ouganda ».

Selon Luc Perino, « la médecine d’aujourd’hui passe le plus clair de son temps à gérer la vie de ceux qui cherchent par tous les moyens à la prolonger ». Et il conclut que ce qui l’inquiète pour les générations qui le suivent, ce ne sont pas tant les risques épidémiques que de voir la plus grande démocratie du monde avoir élu, et s’apprêter éventuellement à lui renouveler sa confiance, un dirigeant « dont l’univers cognitif ressemble plus à celui de nos ancêtres primates qu’à celui des pères de nos démocraties ». J’ai un profond mépris pour Donald Trump, mais je crois que j’aurais hésité à le qualifier de la sorte. Luc Perino a osé aller au bout du politiquement incorrect. Merci à lui.

Il est important de préciser que les propos d’André Comte-Sponville ont été tenus juste après le confinement, date qui correspond également à la parution des livres de BHL et de Luc Perino. Tout ce qui s’est dit dans ces deux livres s’applique donc essentiellement à la période du confinement. Quand nous en sommes sortis, nous pensions que la crise était dernière nous. Mais certains épidémiologistes avisés, notamment Martin Blachier, nous avaient alertés sur le fort risque d’une deuxième vague. Eh bien voilà, en cette fin de septembre, cette deuxième vague semble inéluctable à court terme. Comment nos dirigeants vont-ils la gérer ? Comment les Français vont-ils accepter les mesures prises ? Nul ne peut le dire, mais il est permis d’espérer que nous y serons mieux préparés qu’en mars, et que nous ne reproduirons pas les erreurs commises au début de la pandémie. Cependant il faut souligner que les hôpitaux français sont en général saturés chaque hiver. Comment pourront-ils supporter l’afflux supplémentaire de patients Covid-19 ? Nul ne peut le prédire.

En tout cas je ne pense pas qu’il soit opportun de critiquer, comme s’est permis de le faire récemment BHL, le port du masque. Après nous avoir dit, au début de la crise, qu’il ne servait pas à grand-chose, en réalité parce que nous n’en avions pas, la plupart des scientifiques sérieux semblent dorénavant être tombés d’accord sur son utilité.

Il m’a semblé intéressant de faire entendre ces trois voix divergentes, qui modèrent quelque peu le discours officiel dans ce qu’il peut avoir d’excessivement anxiogène.


C. Thomsen, le 26 septembre 2020

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