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Une brève histoire de l’internat des Hôpitaux

Dernière mise à jour : 18 janv. 2020

Comme l’immense majorité de mes « collègues », je reste très fier d’appartenir à la prestigieuse confrérie des « anciens internes des hôpitaux de Paris » (les AIHP), qui se saluent comme « cher collègue » (et non pas cher confrère) lorsqu’ils s’écrivent à propos d’un patient.

L’internat actuel n’a strictement plus rien à voir avec celui qu’avait imaginé Bonaparte en 1802, et qui était encore en vigueur lorsque je fus nommé Interne des Hôpitaux de Paris au concours de 1974.

Je vous propose un bref survol de cette histoire, tiré de l’article « Externat – Internat » publié dans mon encyclopédie en ligne, www.vocabulaire-medical.fr.


L’internat hospitalier, de 1802 à 1982


C’est par un décret consulaire du 4 ventôse an X (22 février 1802) que furent créés par le Premier Consul Bonaparte les concours de l’externat et de l’internat des hôpitaux. En mettant des internes (au sens trivial du terme, c’est-à-dire vivant sur place) dans les services hospitaliers, on assurait une présence médicale 24 heures sur 24. Comme Bonaparte ne lambinait jamais, le premier concours de l’internat des hôpitaux de Paris fut organisé le 26 fructidor an X (13 septembre 1802). Soixante candidats se présentèrent ; vingt-quatre furent reçus.


*

La préparation du concours, telle que je l’ai vécue, était particulièrement éprouvante et difficile, sollicitant beaucoup la mémoire, et représentait des heures de travail quotidien se terminant tard dans la nuit, le tout pendant presque trois ans.

Les candidats au concours se regroupaient par affinité au sein d’institutions informelles, que l’on appelait, selon les villes universitaires, «conférences d’internat», «sous-colles» (je n’ai jamais su l’origine de cette expression), ou encore «écuries». Le principe était de travailler chez soi, et de se réunir chaque semaine sous l’autorité du conférencier de médecine et physiologie d’une part, du conférencier de chirurgie et d’anatomie d’autre part, pour rédiger une « question d’internat », qui était ensuite corrigée dans la foulée. Certains conférenciers d’internat jouissaient d’une solide réputation parmi les étudiants, notamment, pour les concurrents parisiens, les célèbres chirurgiens cardiaques Alain Deloche et Jean-Noël Fabiani, que l’on voit régulièrement dans les médias, notamment le premier cité, fondateur de l’association La chaîne de l’espoir; le second est devenu un spécialiste de l'histoire de la médecine. Bref, une vraie vie monacale, qui trouvait sa récompense suprême si l’on était nommé au premier concours. Sinon, on pouvait de présenter trois fois. Et comme on pouvait se présenter dans trois villes différentes chaque année, le nombre de tentatives était limité à neuf.

Une fois nommé, on entrait dans une véritable confrérie, avec ses rites, comme celui du tutoiement de la part des aînés et l’appelation de « collègue » entre soi.

Dès le départ, l’internat durait quatre ans, soit huit semestres, puisqu’un stage durait six mois. Un grand moment de la vie d’interne était celui du choix semestriel des stages, qui se faisait par ordre de classement. Mieux valait avoir été reçu avec un bon rang pour pouvoir prétendre aux meilleurs services, les plus formateurs, auxquels on n’accédait en général qu’à partir de la troisième année. Comme dans tous les concours, le premier reçu était « major » de sa promotion.

A la fin des quatre années, on obtenait automatiquement le titre envié et définitif d’ancien interne des hôpitaux (de Paris ou de toute autre ville de faculté). C’est personnellement cet internat que j’ai connu, et je suis toujours fier, comme tous mes collègues, d’être AIHP (ancien interne des hôpitaux de Paris).

Certains internes obtenaient la possibilité d’une année supplémentaire dans le service de leur choix en décrochant une « médaille d’or » ou une « médaille d’argent ».

A la fin de l’internat se posait la question de l’avenir. Si l’interne estimait que sa formation avait été suffisante, il pouvait s’installer comme spécialiste, une fois sa thèse d’exercice soutenue (c’est elle qui donne le droit de s’appeler « docteur »). S’il jugeait qu’il lui fallait poursuivre sa formation, notamment dans les spécialités techniques comme la chirurgie, il devait devenir chef de clinique. Pour ce faire, il sollicitait de ses anciens patrons un « poste de chef ».


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A l’époque de la création des concours, il ne s’agissait que de Paris ; la province suivra. La notion de concours répondait à un souci bien républicain d’éviter tout favoritisme ; c’est le fameux élitisme républicain, toujours en faveur dans notre pays. Cependant, l’existence d’épreuves orales permettait, d’une certaine façon, de favoriser certains candidats, comme les fils de patrons (patrons hospitaliers, bien entendu). Les épreuves orales ont été supprimées à la fin des années 60, assurant ainsi l’anonymat complet du concours.

Les concours étaient organisés par l’administration hospitalière, et non pas par l’université, ce qui ne dispensait cependant pas les internes de passer les examens organisés par la faculté de médecine, seule habilitée à délivrer le diplôme de docteur en médecine, à l’issue d’une soutenance de thèse d’exercice. Ce diplôme est toujours le sésame indispensable pour exercer la médecine.

Ces concours hospitaliers allaient devenir le moteur de l’excellence médicale française, largement reconnue de nos jours, mais que les médecins français ont un peu de mal à contester quand elle doit l’être. La médecine française est effectivement d’un très bon niveau, mais pas la meilleure du monde comme on le répète à satiété.


Création du clinicat


Le titre et la fonction de chef de clinique remontent à 1823. Il s’agissait de créer, par nomination et non pas par concours, un corps de médecins universitaires assurant une triple mission de soins, d’enseignement et de recherche. A mon époque (le début des années 80), on était « CCA », soit chef de clinique à la faculté de médecine (de Paris en ce qui me concerne) pour les fonctions d’enseignement et de recherche, et assistant des hôpitaux pour la partie réservée aux soins, ce que l’on appelle l’activité clinique (pour moi l’hôpital Henri Mondor de Créteil, CHU créé en 1971). L’intitulé actuel de la fonction est chef de clinique des universités-assistant des hôpitaux, autrement dit CCU-AH.


Création des CES


Après la Seconde Guerre, il fallut bien faire le constat que certaines disciplines en plein essor n’étaient pas choisies par les internes. Comme il était nécessaire de former des spécialistes dans ces disciplines, on créa le CES, certificat d’études spécialisées, diplôme universitaire qui permettait d’obtenir au bout de deux années d’études une qualification par l’Ordre des médecins. C’était notamment le cas en anesthésie, discipline qui pendant longtemps n’eut pas d’interne, et donc pas non plus de chef de clinique. Ceux-ci obtenaient de facto une qualification ordinale dans la discipline qu’ils avaient choisie. Les CES ont été supprimés en 1984.


Suppression de l’externat en 1968


Le concours de l’internat était réservé à ceux qui avaient réussi l’externat, à l’issue d’une épreuve organisée en fin de deuxième année, et cela jusqu’à la suppression du concours de l’externat dans la tourmente de Mai 1968, qui faillit bien emporter aussi l’internat. L’externe disparut au profit de l’étudiant hospitalier, fonction ouverte à tous les étudiants en médecine, sans aucune sélection. Personnellement, je n'ai pas connu le concours de l'externat, supprimé depuis quelques années quand je commençai mes études de médecine.

 

L’internat universitaire, de 1982 à 2004


On l’a vu, l’externat, comme le « mandarinat », fut une des victimes de Mai 68. Quant à l’internat, il évolua en trois phases : l’internat hospitalier, tel que l’avait conçu Bonaparte, de 1802 à 1982, que j’ai décrit plus haut ; puis l’internat universitaire, de 1982 à 2004 ; enfin l’internat pour tous depuis 2005, avec la suppression du concours en 2004.

La suppression du concours de l’internat fut envisagée en 1982, mais, à la suite d’une grève massive des soins, l’internat sauva sa peau sous forme d’un concours universitaire, organisé sous l’égide du CNCI (Centre national des concours d’internat), hébergé par l’Université René Descartes (Paris V).

L’internat nouvelle manière, dit « internat de spécialité » (ou de CHU), devint la seule voie d’accès aux spécialités. Les non internes (par choix ou par échec) étaient nommés « résidents ».


Suppression de l’internat en 2005


Depuis 2005 l’internat de spécialité a été remplacé par l’examen classant national. Mais le nom prestigieux d’interne perdure, et tous les étudiants en médecine deviennent internes, y compris en médecine générale. La sélection se fait par la note obtenue à l’examen. Exit le concours de l’internat, et, bientôt, l’examen classant national.


Pour terminer ce rapide survol, un mot sur les concours en général


La France, on le sait, aime les concours d’entrée ou de fin d’études (l’ENA et toutes les « grandes écoles », Polytechnique en tête). La médecine les a supprimés. Alors, est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?

L’avantage du concours en médecine, c’est la sélection des meilleurs étudiants par le travail, et Dieu sait s’il en faut pour retenir tout ce qu’un médecin doit savoir, car la mémoire est ici plus importante que l’intelligence. Mais ceux qui ont échoué au concours doivent aussi avoir acquis peu ou prou les mêmes connaissances pour devenir de bons médecins.

L’inconvénient du concours, c’est qu’on a facilement tendance à le considérer comme une fin en soi, alors qu’il n’est qu’une porte d’entrée à un métier que l’on ne connaît pas encore quand on est « nommé ». En clair, on connaît la théorie, reste le plus difficile, apprendre la pratique, et ce n’est pas rien. Celle-ci s’acquiert en grande partie par compagnonnage avec les aînés, notamment les chefs de clinique, recrutés par nomination et non pas par concours.

Et l’on ne peut que regretter qu’il n’y ait pas chez nous, à l’instar de ce qui se fait dans beaucoup de pays, soit un contrôle continu des pratiques et des connaissances, soit, à défaut, un examen final qui permettrait de savoir si, par exemple, un apprenti chirurgien opère selon les règles de l’art, c’est-à-dire en toute sécurité pour ses patients.


Sans titre. Huile sur toile. Collection personnelle.

Dr C. Thomsen, janvier 2020

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