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Vaincre les épidémies

Dernière mise à jour : 19 déc. 2020

Beaucoup de ceux d’entre vous qui suivent l’actualité de la crise sanitaire, même d’un peu moins près que moi qui suis concerné professionnellement, ont appris à connaître le Pr Didier Pittet, personnage éminemment sympathique quand il intervient sur un plateau de télévision.

Ce médecin suisse francophone est épidémiologiste. Il dirige le service de prévention et de contrôle des infections aux HUG, les Hôpitaux universitaires de Genève. Il est également professeur à la Faculté de médecine de Genève. Il est connu dans le monde entier pour être l’ambassadeur de l’OMS pour l’hygiène des mains grâce à la friction hydro-alcoolique. Co-inventeur de la fameuse SHA (la solution hydro-alcoolique), aussi appelée gel hydro-alcoolique, il en a offert le brevet à l’OMS pour que ce produit indispensable dans la lutte contre la transmission des infections puisse être fabriqué pour trois fois rien dans le monde entier (Comme le disait joliment le regretté Raymond Devos dans son célèbre sketch « Parler pour ne rien dire », une fois rien, c’est rien ; deux fois rien, ce n’est pas beaucoup ; mais pour trois fois rien, on peut déjà s’acheter quelque chose, et pour pas cher. Par exemple un flacon de SHA). Didier Pittet y a gagné le surnom de « docteur Mains propres ».

Cet acte incroyablement généreux a été raconté par Thierry Crouzet dans la biographie de son ami Didier Pittet, Le Geste qui sauve. Thierry Crouzet est le coauteur de Vaincre les épidémies, qui se présente sous la forme du journal que Didier Pittet est censé avoir tenu au jour le jour pendant les six premiers mois de l’année 2020. Mais en fait il a été reconstitué a posteriori par Thierry Crouzet en utilisant diverses sources comme les notes adressées à Thierry par Didier, l’agenda de ce dernier, et leurs souvenirs respectifs. Cette chronologie a été croisée avec l’actualité mondiale. Le résultat est bluffant, car on jurerait que tout a été rédigé quotidiennement, au fil de la plume.


Didier Pittet a travaillé de façon très étroite avec le gouvernement fédéral suisse dans la gestion de la crise sanitaire, ce qui explique peut-être que la Suisse s’en sorte un peu mieux que d’autres pays, la France notamment. Ce qui est un peu agaçant avec les Suisses, c’est qu’ils font tout mieux que les autres, mieux même que les Allemands. Les Vaudois sont comme des Allemands qui parleraient français. Coluche disait dans un sketch que la Suisse est un pays tellement propre qu’il est presqu’impossible d’y attraper des maladies.

Cette réputation d’excellence a valu à Didier Pittet d’être choisi le 25 juin par Emmanuel Macron pour présider la mission indépendante chargée d’évaluer la gestion globale (sanitaire, économique et sociale) de la crise Covid-19 par les autorités françaises et leur anticipation des risques pandémiques. Cette mission réunit cinq personnalités aux champs d’expertise variés et complémentaires. Leurs travaux seront approfondis et conduits sur le temps long, ce qui nous change quelque peu du temps médiatique ultra-court qui sert habituellement à porter des jugements à l’emporte-pièce sur l’action des décideurs.


La lecture de ce journal est très facile même pour un profane absolu, car l’auteur use de très peu de termes techniques. Et elle est passionnante, car Didier Pittet nous raconte comment il a combattu autant le coronavirus que la désinformation, sous une forme teintée d’humour. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’il soit plus efficace de lutter contre un virus que contre des théories complotistes. Et si son récit déborde largement les limites de notre hexagone, pour s’intéresser au monde entier, il nous est possible d’y retrouver l’actualité bien française. Après tout, les auteurs sont francophones, et Didier Pittet a été adoubé par Emmanuel Macron.


Je me propose de pêcher quelques perles dans ce journal, en le scindant en sept périodes : janvier-février, soit avant notre premier confinement ; le mois de mars, pendant laquelle la France a commencé à se confiner, occupe un chapitre ; le mois d’avril, très dense, a besoin de deux chapitres ; le mois de mai nécessite un chapitre, pendant que le mois de juin en demande deux.

Compte tenu de l’évolution actuelle de la crise, en pleine deuxième vague, le récit du deuxième semestre 2020 serait le bienvenu. J’espère que nous l’aurons courant 2021, même si l’auteur ne l’a pas annoncé, en même temps qu’un vaccin, qui, lui, nous est annoncé comme imminent par le laboratoire américain Pfizer, seule bonne nouvelle sanitaire depuis bien longtemps.


Dans un préambule intitulé « L’appel du 11 juin 2020 », je relève cette phrase qui résume bien la boulimie médiatique qui s’est emparée de certains médecins : D’autres médecins ont crevé les écrans durant la crise, sans le devoir à leur pertinence scientifique. Être visible n’est pas un gage de compétence. Comme tout cela est joliment dit, sans nommer personne expressément !


Mais avant de commencer, une interrogation sur le titre, Vaincre les épidémies. Est-ce une sorte de prédiction, voire de promesse, que nous fait Didier Pittet ? Si c’est le cas, cela me semble bien ambitieux. Et une citation à méditer, de Rudolf Virchow, que l’auteur met en exergue de son ouvrage, et que Luc Périno a lui aussi utilisée : La médecine est une science sociale, et la politique rien d’autre que de la médecine à grande échelle.

Rudolf Virchow (1821 – 1902) fut un grand médecin allemand, considéré comme le fondateur de l’anatomie pathologique. Il effectua l’essentiel de sa carrière médicale au fameux Hôpital de la Charité de Berlin, celui-là même où exerce Christian Drosten. Et il fut aussi un homme politique allemand, membre du parti progressiste. Beau patronage pour notre épidémiologiste suisse.

Chapitre 1 : avant le confinement


Le mois de janvier est sous-titré De la Chine au reste du monde.

Celui de février Au pied de la vague.

Mardi 7 janvier,

Une petite mise au point scientifique : Le R0 est un des paramètres fondamentaux décrivant une épidémie. Quand elle se développe, quand on lutte contre elle, on ne mesure plus le R0 mais le Rt, un taux de reproduction effectif variable dans le temps.


Dimanche 12 janvier

Didier Pittet nous rappelle les 5 moments de l’hygiène des mains pour un soignant :

1 : avant de toucher un patient ;

2 : avant un geste thérapeutique ;

3 : après un risque d’exposition à un liquide biologique ;

4 : après avoir touché un patient ;

5 : après avoir été en contact avec l’environnement d’un patient.

Certes ces recommandations s’appliquent aux médecins et aux soignants. Mais j’ai l’impression que, depuis que s’est généralisé le port du masque, l’hygiène des mains est un peu oubliée par nos concitoyens. Grave erreur !


Lundi 13 janvier

D. P. est manifestement un grand admirateur du système de santé taïwanais. Chaque fois que j’ai visité Taïwan, j’ai été impressionné par le professionnalisme du corps médical et la qualité de leurs services de prévention des infections. La Chine n’aime pas les Taïwanais, ils sont en froid avec l’OMS et les Nations-Unies dont ils ne sont pas membres à part entière, mais pour moi ils ont toujours été une référence, notamment dans leur magnifique suivi de nos stratégies de promotion de l’hygiène des mains. Il sera important de surveiller leur gestion de la crise.

Avec le recul on peut affirmer que Taïwan est le pays au monde qui a le mieux géré l’épidémie de Covid-19. Bravo M. Pittet pour votre clairvoyance.


Jeudi 16 janvier

À Berlin mon collègue et ami Christian Drosten publie le premier test de détection du coronavirus et le rend gratuitement disponible à travers le site de l’OMS. Pas un instant il ne s’est demandé s’il y avait de l’argent à gagner. D’autres devraient se regarder dans le miroir lorsqu’ils rentrent chez eux le soir. Je trouve inacceptable de faire passer l’économie avant la santé, voilà pourquoi j’ai moi-même demandé en 2006 à William Griffith de créer deux formulations hydro-alcooliques économiques, simples à fabriquer et efficaces, que nous avons offertes à l’OMS en 2009.

Et voilà : les Suisses ont Didier Pittet, les Allemands Christian Drosten, et nous, malheureusement, Didier Raoult. Perte de chance, comme on dit en médecine…

Un peu plus loin D.P. explique comment, lors d’un voyage au Kenya, il s’est aperçu que les flacons de SHA disponibles dans certains hôpitaux étaient protégés par des cadenas, car ils leur étaient vendus très chers. Cette exploitation éhontée d’un pays pauvre l’a révolté, et incité à mettre son brevet à disposition de l’OMS, comme il le raconte plus haut.


Mardi 21 janvier

Évoquant de nouveau les mesures drastiques prises par Taïwan : Il est indéniablement utile d’avoir un vice-président épidémiologiste.

Certes. Je dirai également que le fait d’avoir, comme la France, un médecin à la tête du ministère de la Santé est un atout, ne serait-ce que dans la pertinence sémantique de la communication.


Mercredi 22 janvier

Il y a deux phases dans une épidémie. Dans la première, les services de santé publique essaient de remonter les chaînes de contamination et d’identifier les personnes susceptibles d’avoir été contaminées (suit la description de la stratégie, que je vous épargne bien qu’elle soit très intéressante à connaître). Dans la seconde phase, quand les cas se multiplient, quand on perd le contrôle des chaînes de transmission, quand les hôpitaux ne suivent plus, il ne reste que le confinement : faire en sorte que les gens ne se contaminent plus.

Plus loin, première allusion à Donald Trump : Depuis le Forum économique de Davos, le Président Trump déclare que la situation aux États-Unis est sous contrôle. « Notre premier cas arrive de Chine. Tout ira bien ».

D. P. ne fait aucun commentaire. Moi non plus. Pour l’instant…


Dimanche 26 janvier

En France, la population commence à se poser des questions. Une journaliste de BFM TV demande à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, s’il faut acheter des masques en pharmacie. La ministre répond : « Surtout pas, c’est totalement inutile ». D. P. fait ce commentaire mesuré à propos de la réponse d’Agnès Buzyn : Elle n’a pas tort, elle n’a pas raison, ça dépend des circonstances, et il est beaucoup trop tôt pour avoir des certitudes. Voilà qui devrait verser un peu de baume sur le cœur meurtri de la ministre démissionnaire, dont on n’a guère de nouvelles depuis son départ du ministère.


Jeudi 30 janvier

Dans mon service, j’ai dû demander à une de nos collaboratrices de se spécialiser dans les fake new pour lutter contre le grand n’importe quoi qui entoure la friction hydro-alcoolique. Il ne se passe pas une semaine sans que quelqu’un cherche à démontrer son inefficacité ou sa dangerosité. D. P. poursuit : Je reste ouvert. Science n’est pas vérité. Mais la détourner pour briller dans les médias me paraît préjudiciable, a fortiori pour les malades. Le problème : les journalistes eux-mêmes tombent dans le panneau. Il faut ensuite des mois pour réfuter les erreurs, qui, en attendant, causent parfois des dégâts.

J’aimerais bien savoir ce que D. P. pense de la toute récente déclaration de Didier Raoult. Selon ce dernier, ni le port du masque ni la friction hydro-alcoolique n’ont une quelconque utilité contre le coronavirus.


Vendredi 31 janvier

Un long paragraphe sur Trump et surtout sur l’état de la santé publique au États-Unis. Mes collègues américains du CDC me disent que leur Président ne les écoute pas, et qu’il ne croit pas à la propagation du virus dans le pays. (…) Il est imprévisible. C’est le moins que l’on puisse dire de lui !

Si cette épidémie se développe, les Américains paieront le prix fort : leur santé publique est en lambeaux et on ne lutte pas contre une épidémie qui frappe l’ensemble de la population avec une santé privée destinée aux riches.

Bien vu, Pr Pittet. De fait les Américains pauvres paient un lourd tribut au virus.

Première apparition de notre marseillais national Didier Raoult : En France, Didier Raoult affirme « Ce n’est qu’une infection respiratoire de plus ».

J’aime bien Didier, on se respecte, c’est un microbiologiste de tout premier plan au niveau international, un bon infectiologue, mais ce n’est pas un épidémiologiste. Je trouve qu’il se mouille un peu vite. Pour ma part, je me garde de toute prévision. Mais il a raison quand il dit : « De mon point de vue, le risque le plus important est la panique ». D. P. approuve cette réflexion.


Philippulus le prophète

Je ne sais pas encore comment D. P. va évoluer vis-à-vis de son encombrant collègue français, mais, avec le recul qui est le nôtre, on peut affirmer qu’aucune des prophéties de Didier Raoult, Philippulus du XXIème siècle (voir l’aventure de Tintin intitulée L’Étoile mystérieuse), ne s’est réalisée, ce qui ne dérange nullement les membres de son fan club.

Mais Philippulus était un catastrophique, et non un rassuriste. Selon le philosophe allemand Hans Jonas, « la prophétie du malheur est faite pour éviter qu’elle ne se réalise ; et se gausser ultérieurement d’éventuels sonneurs d’alarme en leur rappelant que le pire ne s’est pas réalisé serait le comble de l’injustice ; il se peut que leur impair soit leur mérite (Le principe responsabilité) ». Voilà en effet plusieurs décennies que des épidémiologistes annoncent une pandémie. Mais contrairement aux tremblements de terre, auxquels se sont préparés certains pays particulièrement menacés comme le Japon ou la Californie, les démocraties occidentales se sont réveillées totalement désemparées face à l’émergence de ce nouveau coronavirus. Certains pays asiatiques, confrontés au Sars-Cov-1 de 2003, ont été moins surpris.


Mardi 4 février

Didier et sa femme Séverine sont invités chez une amie qui reçoit Najee Michaeel, l’archevêque de Mossoul, au parcours surprenant (d’abord bassiste dans un groupe de rock, puis ingénieur dans le pétrole, avant de devenir dominicain en France). Séverine est bouleversée par cette rencontre et moi, bouleversé de la voir bouleversée. Je me sens proche de cet homme, de son engagement, moi qui, durant mon adolescence, ai songé à me faire prêtre, et même moine.


Mercredi 5 février

La peur arrive chez nous.

Et puis il y a l’économie qui déjà vacille, le cours du pétrole qui s’affole, la Bourse chinoise qui décroche. Nous entrons dans une zone de turbulence, avec une belle dose de théorie du complot come cette idée selon laquelle le virus se serait échappé du laboratoire P4 de Wuhan. Bienvenue dans le monde du complotisme triomphant.


Jeudi 6 février

D. P. est à l’aéroport de Genève pour accueillir les passagers en provenance de Pékin. Il leur explique longuement que l’hygiène des mains est beaucoup importante que le port du masque pour combattre la transmission du virus. Il me semble que, maintenant qu’il n’y a plus de pénurie de masques ni de gel hydro-alcoolique chez nous, cette vérité scientifique indiscutable est un peu oubliée.


Vendredi 7 février

Son collègue et ami de Hong Kong, le Dr Seto, le supplie de venir sur place en urgence, pour calmer le jeu, car la population est prise de panique. Didier s’exécute, en bon petit soldat.

Il n’y a pas qu’à Hong Kong que ça chauffe. L’OMS déclare qu’une pénurie mondiale d’équipements de protection est en cours. Nous apprenons la mort de Li Wenliang, le jeune ophtalmologue qui a révélé l’épidémie au public chinois. Certains de mes collaborateurs pensent qu’il a été assassiné. Il ne fait toujours pas bon être un lanceur d’alerte en Chine.


Samedi 8 février

Cinq Britanniques viennent d’être déclarés positifs dans la station de ski des Contamines-Montjoie en France, à une heure de route de Genève. La commune est mise en quarantaine, les écoles fermées, la population testée. En espérant que ce cluster soit circonscrit. Ce fut effectivement le cas.


Dimanche 10 février

À l’aéroport de Hong Kong, le spectacle est hallucinant. D. P. nous décrit cet aéroport comme en état de siège, avec un grand luxe de précautions sanitaires.

Quand je retourne à mon hôtel, je peux vérifier qu’il y a du papier toilette dans les WC, parce que depuis jeudi les Hongkongais s’arrachent les rouleaux, sous prétexte d’une rumeur annonçant une rupture de stock comme pour les masques et le gel hydro-alcoolique.

Cela me rappelle les tout premiers jours de notre confinement.


Mardi 11 février

L’Oms décide de nommer la nouvelle maladie Covid-19 et le virus SARS-Cov-2 (par analogie avec le SARS-Cov-1 de 2003).

En France la confusion continue de régner entre le nom de la maladie et celui du virus, que pratiquement personne n’appelle par son nom. Pour rajouter de la confusion sémantique, le Covid-19 est devenu la Covid-19, par le fait du prince de la secrétaire perpétuelle de l’Académie, Hélène Carrère d’Encausse. (D. P. en dira un mot le moment venu).


Mercredi 12 février

Première victime aux États-Unis. J’avoue ne pas me souvenir de cet événement.

En novembre, on approche des 250 000 décès dûs au coronavirus.


Jeudi 13 février

Didier communique par WhatsApp avec son collaborateur Laurent, qui lui envoie ce message : Les nouveaux spécialistes qui émergent de partout … et les scientifiques qui n’ont jamais vu une épidémie ou un malade … faut qu’ils arrêtent de nous inonder avec leurs prédictions catastrophistes sans proposer de solutions opérationnelles… Rien n’a vraiment changé.


Samedi 15 février

Un touriste chinois de quatre-vingts ans décède du Covid en France, c’est la première victime officielle en Europe. La France compte désormais 12 cas confirmés.

Je ne me souvenais plus que la première victime en Europe était morte en France. C’était un touriste chinois.


Lundi 17 février

Parlant de la croissance exponentielle de la parution d’articles scientifiques publiés dans l’urgence sur l’épidémie, D. P. écrit ceci : Les procédures de révision par les experts sont souvent court-circuitées, ce qui ouvre la porte à des erreurs et à des approximations. La course contre la montre entraînera bientôt des entorses à l’éthique médicale. Au nom de l’urgence, on peut commettre des bourdes monumentales, administrer un médicament prétendument miracle pour découvrir plus tard qu’il n’a aucun effet, voire des effets délétères, le premier étant d’attirer l’attention sur une fausse promesse, donc de faire perdre du temps aux scientifiques méthodiques. Bien que D. P. ne le dise pas, j’ai le sentiment qu’il parle déjà de l’hydroxychloroquine, qui n’a pas encore été prônée publiquement par Didier Raoult. En tout cas ces quelques lignes sont la meilleure réponse possible à tous ceux qui refusent de comprendre que la recherche scientifique a des règles strictes, et que l’urgence sanitaire n’est pas une raison valable pour s’en affranchir.


Mardi 18 février

Première apparition du nouveau ministre de la Santé français, Olivier Véran. Nommé deux jours auparavant, qui déclare : « Je n’ai pas besoin de vérifier que la France est prête, elle l’est, car nous avons un système de santé extrêmement solide. » Commentaire de D. P. : Il parle comme un entraîneur de football. L’équipe pense qu’elle est préparée, mais elle le vérifiera sur le terrain.

Je sens une subtile pointe d’ironie dans ce commentaire.


Samedi 22 février

Premières victimes en Italie. Deux personnes décèdent, l’une à Padoue, l’autre dans les environs de Crémone. On dénombre 79 cas positifs, presque tous en Lombardie. Le gouvernement italien confine onze communes de la province de Lodi. Je me souviens que les Français étaient très surpris de ce qui arrivait en Italie, et parlaient avec une certaine condescendance (leur péché mignon) des insuffisances du système sanitaire italien.


Dimanche 23 février

L’épidémie se propage en Italie du Nord à un rythme exponentiel. D. P. fait un point précis sur la situation en Italie, et sur le risque d’extension au Tessin, pointe helvète en terre lombarde. Il précise que l’épidémie n’est pas encore une pandémie.

Il évoque ensuite l’immunité de population, dite immunité collective ou encore immunité de troupeau. Il prend l’exemple de la France, et calcule que dans notre pays, avec un R0 à 2,5 et une mortalité de 1%, il faudrait que 40 millions de Français soient contaminés pour obtenir une immunité collective, au prix de 400 000 victimes. On se demande comment les Anglais ou les Suédois ont pu choisir cette option. Les Anglais y ont vite renoncé.


Mardi 25 février

Nous avons notre premier cas en Suisse, un septuagénaire du Tessin. (…) En France et en Allemagne, on découvre aussi des cas importés d’Italie où on dénombre 323 cas et 11 victimes. (…) L’OMS affirme que, dans la plupart des pays, nous ne sommes pas prêts à affronter la crise. Données à l’appui, l’organisation montre que la stratégie de confinement a fonctionné en Chine. (…) De son côté, Didier Raoult déclare que le virus n’est pas plus dangereux que ceux impliqués dans les épidémies de grippe saisonnière – « c’est probablement l’infection respiratoire la plus facile à traiter » - et il prône la prescription d’hydroxychloroquine, sans preuve, se référant à une simple lettre publiée il y a une semaine en Chine. À l’écouter,on pourrait croire que la messe est dite et que les Italiens sont stupides de confiner onze villes, tout comme les autorités sanitaires françaises qui, après le premier décès d’un Français, ordonnent le confinement de toutes les personnes ayant eu des contacts avec lui durant les deux dernières semaines. Je sens que Didier P. commence à être un peu agacé par son collègue et ami Didier R.


Mercredi 26 février

Les uns vendent des miracles, les autres annoncent l’Apocalypse. Ces gourous ont compris que c’était le meilleur moyen d’attirer l’attention sur eux. Il cite le nom d’un jeune épidémiologiste suisse dont je n’ai jamais entendu parler parmi ces oiseaux de mauvais augure. Les Français auront aussi leur lot de gourous, catastrophistes pour certains, rassuristes pour d’autres.

En France, Jérôme Salomon, le directeur général de la santé, affirme qu’il n’y a pas de pénurie de masques. La France s’en tirerait donc mieux que partout ailleurs alors que sa capacité de production est quasi nulle ?

D. P. a parfaitement mis le doigt sur ce fichu mensonge d’état qui plombera toute la communication gouvernementale à venir, quand il sera dévoilé.

Le premier patient Covid entre aux HUG. Il n’a qu’un rhume.


Jeudi 27 février

La situation devient préoccupante en Italie avec 528 cas déclarés. Des collègues de Lombardie m’annoncent que les services de réanimation approchent du seuil de saturation. (…) Nous créons un secteur spécial Covid à l’hôpital.


Vendredi 28 février

D. P. détaille les mesures par la cellule de crise de son hôpital. Port du masque obligatoire pour tous aux Urgences.

Réunion à l’OMS (dont D. P. est membre) au sujet de l’Italie. Je conseille le confinement du nord de l’Italie, mais je ne suis pas entendu par les responsables italiens, où manifestement se joue une lutte de pouvoir entre Milan et Rome. (…) Nous prenons conscience de notre incapacité à produire nous-mêmes les ressources qui nous manquent. Constat d’échec d’un mode d’organisation insoutenable en cas de crise. Nous n’étions pas prêts, mais nous ne voulions pas l’admettre. En France, depuis des mois, les soignants avaient alerté quant à la déréliction du système de santé, mais le problème est plus profond encore.

Voilà un bel exemple de critique constructive, et d’autocritique.

Plus loin, parlant de l’interdiction des rassemblements, D. P. explique que ce n’est pas une question de nombre de personnes présentes, mais de densité dans un même lieu. L’important, c’est la distanciation physique.


Samedi 29 février

La France suit l’exemple de la Suisse. Avec 100 cas, un second cluster identifié dans l’Oise et 5 communes confinées, elle interdit les manifestations de plus de 5000 personnes. Je fulmine devant ces déclarations sans le moindre fondement épidémiologique. Parlez plutôt de distanciation physique et d’hygiène des mains, bon sang. L’agacement de D. P. monte d’un cran.

Après Hong Kong et Singapour, la peur de manquer de papier toilette gagne les États-Unis. Comment dire ? J’ai du mal à suivre toutes les conséquences de l’épidémie. C’est la troisième fois que D. P. s’étonne, c’est le moins que l’on puisse dire, de la place prise par le papier toilette, dont on ignorait jusque-là le caractère essentiel, pour ne pas dire vital aux yeux de certains.

C’est sur cette interrogation existentielle que se termine ce premier chapitre.





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