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Franz Kafka et Robert Klopstock


Le Dr Robert Klopstock

Franz Kafka ne veut pas mourir commence en 1921 par la rencontre fortuite, au sanatorium de Maltiary, dans les Tatras, de Franz Kafka, déjà très atteint par la tuberculose, et d’un jeune étudiant en médecine, Robert Klopstock, lui aussi venu soigner sa tuberculose.

Une indéfectible amitié va se nouer entre les deux hommes, malgré une différence d’âge de seize ans, amitié teintée d’une grande admiration de Robert pour son aîné, son mentor. « Il buvait les paroles de l’écrivain. Il aimait cet homme comme un frère. »

Après le départ de Kafka du sanatorium, les deux hommes entamèrent une correspondance. Robert « avait parfois le sentiment que sa vie entière se construirait à l’aune de cette amitié nouvelle ».


Le 3 juin 1924, Robert est au chevet de Franz, qui est au plus mal. Il le soulage avec des injections répétées de morphine. Franz lui demande : « Pourquoi prolongez-vous ma fin ? » Puis il implore son ami : « Robert, tuez-moi, sinon vous êtes un assassin ! » Et c’est bien ce qu’il se résignera à faire. Laurent Seksik m’a certifié que toutes les paroles qu’il a mises dans la bouche de Kafka, y compris ces dernières, sont authentiques.

Max Brod âgé

Le lendemain de l’enterrement de Franz, Robert et Max Brod ont rendez-vous au café Savoy. Max vient de récupérer les affaires de son ami dans le bureau qu’il occupait à la compagnie d’assurances qui l’employait jusqu’à ce qu’il ne soit plus en état de travailler. Parmi ce fouillis de carnets en tous genres, Max a trouvé une lettre qui lui est adressée, dans laquelle Franz lui demande de brûler sans les lire tous les textes qu’il laisse. Il demande que le même sort soit réservé à tous les textes de sa main qui seraient en possession de toute personne, y compris de Max lui-même. Dora avait évoqué avec lui certains soirs d’hiver à Berlin pendant lesquels ils regardaient brûler des manuscrits que Franz lui avait demandé de détruire par le feu.

Une autre lettre adressée à Max précisait que seuls étaient valables selon lui les livres de cette liste : Le Verdict, Le Soutier, La Métamorphose, La Colonie pénitentiaire, Médecin de campagne, ainsi que le récit Un artiste de la faim.

Il manque à cette liste au moins trois de ses plus grands livres, certes inachevés à sa mort : Le Procès, Le Château, L’Amérique !

Robert essaie désespérément de convaincre Max de respecter les volontés de leur ami commun. Mais jamais Max ne s’y résoudra, et nous lui devons la conservation des écrits de Kafka qui ne figurent pas sur sa liste d’œuvres jugées « valables ». Robert à Max : « Vous allez trahir votre meilleur ami. » Réponse de Max : « Je vais le trahir parce que je le respecte. » Robert argumente. Peut-être que cette volonté de ne rien laisser post mortem n’était que celle d’un moment précis. Après tout, Franz a été farouchement antisioniste, avant de devenir sioniste à la fin de sa vie, au point de vouloir ouvrir un restaurant à Tel-Aviv avec Dora. Bref, il aurait pu changer d’avis sur le devenir de son œuvre.


Peu de temps après la mort de Kafka, Robert s’était établi à Prague, la ville de son ami. La raison principale de son départ de Budapest était le retrait du droit de vote aux juifs décidé par le maréchal Horthy, prélude à des exactions commises envers ses coreligionnaires. Qui plus est, il avait été banni de la faculté de médecine.

Il avait retrouvé par hasard une amie d’enfance, Gizelle Deutsch, une Hongroise avec laquelle il avait entrepris de traduire Le Procès en hongrois. Ils se marieront en 1929.

Puis ils se lassèrent de Prague, rêvant de s’installer à Berlin, la ville où Franz avait été heureux, malgré le froid et la misère. Après un bref intermède à Kiehl, il fut accepté au prestigieux hôpital de la Charité de Berlin, dans le service de chirurgie thoracique du professeur Ferdinand Sauerbruch, qui se prit d’amitié pour son élève. C’était la consécration de sa carrière. « Il n’avait pu sauver son ami des ravages de la tuberculose. Il n’avait qu’une obsession en tête, tout savoir de la maladie. »

En mars 1930, grâce à l’appui de son mentor, il obtint un poste d’assistant à Sommerfeld, en périphérie de Berlin, dans un hôpital spécialisé dans le traitement de la tuberculose.

Sa compétence et sa personnalité empathique forçaient le respect. Son patron, le professeur Wolfgang G. lui prédisait une grande carrière dans la médecine allemande. Tout semblait lui réussir. C’était sans compter sur l’arrivée de Hitler au pouvoir.


Ici se place une des scènes des plus marquantes du livre. Wolfgang G. convoque son élève dans son bureau. Il demande tout de go à celui qu’il n’appelle plus Robert mais Klopstock pourquoi il ne lui a pas dit qu’il était juif. Parce que « vous ne me l’avez jamais demandé, bredouilla Robert, surpris. Et à vrai dire, je ne savais pas que c’était important. » Le professeur lui avoue ne pas lui en vouloir d’avoir caché cette information à ses yeux essentielle, parce qu’il se sent lui-même responsable de cette négligence. « D’ordinaire, je sais reconnaître les juifs, et là, je ne me suis pas méfié. » Il a commis une grave erreur diagnostique dont il se sent coupable. « Vous n’avez pas l’air juif, avec votre blondeur, votre nez en trompette et votre air sérieux ! Vous trompez l’ennemi, Klopstock, avec votre patronyme qui, je vous le rappelle, est celui d’un grand poète allemand. »

Et il informe Robert du dernier décret portant sur la radiation des médecins juifs. Toutes les protestations de Robert n’y feront rien ; lui et les siens ne sont plus le bienvenus dans la médecine allemande. Cette scène est glaçante, mais l’auteur y met une telle dose d’ironie dans les dialogues que l’on ne peut s’empêcher de sourire. Je pense ici à Alexandre Vialatte qui trouvait que Kafka, dont il fut le premier traducteur en France, était, contre toute attente, un auteur comique.



Klaus Mann

Au printemps 1934 Robert, qui a trouvé, au prix de mille difficultés, un poste à Budapest, est à Berlin pour rencontrer les membres de la rédaction de la Jüdische Rundschau, une des rares revues juives encore autorisées à paraître, à condition qu’elle ne traite que de littérature juive. La revue souhaite publier un numéro d’hommage pour le dixième anniversaire de la mort de Kafka. La contribution de Robert est souhaitée en tant que témoin de sa mort. Mais Robert est réticent.


En septembre 1938 Robert quitte l’Europe pour New York. Sur le Champlain se trouve également Klaus Mann, le fils du prix Nobel. Robert a aidé autrefois Klaus dans son sevrage à la morphine. Avant d’embarquer, Klaus avait demandé à Robert de remettre une lettre à Stefan Zweig, qui vivait alors à Londres.

Robert n’appréciait pas tellement l’écrivain Zweig, « un romancier du XIXème siècle, quand Franz était la modernité incarnée. »

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