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Humanisme, trop d’humanisme ?

C’est Jean-Paul Sartre qui a ouvert le bal, avec sa très célèbre conférence donnée en 1945, L’existentialisme est un humanisme, publiée l’année suivante. Plusieurs auteurs lui emboîteront le pas, en paraphrasant plus ou moins ce titre célèbre, tout comme je m’amuse à paraphraser Nietzsche dans le titre de ce propos.

C’est ainsi qu’ont été publiés récemment :

Le transhumanisme est-il un humanisme ? (2014) du philosophe belge Gilbert Hottois, spécialiste des questions éthiques liées aux technosciences, mort en 2019. Ce petit livre, souvent cité mais publié de manière assez confidentielle par l’Académie Royale de Belgique, n’a pas été facile à dénicher.

Pour un humanisme vital (Odile Jacob 2019), du philosophe Frédéric Worms, éditeur des œuvres de Bergson, et défenseur du vitalisme cher à ce dernier. Ce livre se présente sous forme de lettres envoyées à des correspondants non identifiés, et peut-être fictifs.

Le soin est un humanisme (Gallimard 2019), de la philosophe et psychiatre Cynthia Fleury, est le tout dernier en date de ces ouvrages.

Comme on peut le constater, la philosophie humaniste est à la mode, et il n’est pas exclu que des ouvrages traitant de ce sujet m’aient échappé. Mais si l’humanisme est effectivement souvent mis en avant, il n’en est pas pour autant facile à définir en quelques mots. Si l’on veut faire très schématique, on dira que l’humanisme place l’Homme au sommet de la pyramide du vivant, au-dessus du reste du règne animal, lequel surplombe le règne végétal. La base de cette pyramide est occupée par le règne minéral pour ceux qui pensent que ce dernier est également vivant. Une citation de Spinoza, reprise par Alain (Propos du 28 janvier 1914), peut résumer d’une phrase cette conception : « L’homme est un dieu pour l’homme ».

Il est possible de citer ici un extrait de la conférence de Sartre : « L’homme, tel que le conçoit l’existentialiste, s’il n’est pas définissable, c’est qu’il n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait. (…) L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait. » Autrement dit, « son existence précède son essence », formule qui résume souvent la philosophie existentialiste. Cependant toutes ces jolies phrases définissent plutôt l’existentialisme que l’humanisme.


En cherchant à affiner un peu plus, c’est dans l’indispensable Dictionnaire philosophique d’André Comte-Sponville (PUF) que j’ai trouvé la définition la plus claire et la plus concise de la philosophie humaniste, ce qui ne m’étonne pas du tout tant ce philosophe m’a habitué au maniement de ces deux qualités littéraires si rares en philosophie, la clarté et la concision. Voici donc ce qu’en substance il nous dit sur le sujet.

Notre auteur passe rapidement sur l’humanisme de la Renaissance, fondé sur l’étude des humanités grecques et latines, et débouchant sur une certaine valorisation de l’individu. Les grands noms de ce courant intellectuel sont Guillaume Budé ou Montaigne en France, Érasme aux Pays-Bas, Pic de la Mirandole en Italie, Francis Bacon en Angleterre. Ce courant a eu une grande importance historique, mais n’a rien à voir avec la conception actuelle de l’humanisme, que formule ainsi Comte-Sponville : « Être humaniste, c’est considérer l’humanité comme une valeur, voire comme la valeur suprême. Reste à savoir si cette valeur est elle-même un absolu (…), ou bien si elle reste relative (…). On parlera dans le premier cas d’humanisme théorique, lequel (…) tend toujours à devenir une religion de l’homme ; dans le second, d’humanisme pratique, qui ne prétend à aucun absolu, à aucune religion, à aucune transcendance : ce n’est qu’une morale ou un guide pour l’action. Le premier est une foi ; le second une fidélité. » Il poursuit de la manière suivante : « La vraie question est de savoir s’il faut croire en l’homme (humanisme théorique) pour vouloir le bien des individus, ou si l’on peut vouloir leur bien (humanisme pratique) quand bien même on aurait toutes les raisons de ne pas s’illusionner sur ce qu’ils sont. Tel était l’humanisme de Montaigne … »

Et, encore un peu plus loin, ces maximes fortement inspirées par Spinoza :      « Ce n’est pas la valeur des hommes qui fonde le respect que leur devons ; c’est ce respect qui leur donne de la valeur. Ce n’est pas parce que les hommes sont bons qu’il faut les aimer ; c’est parce qu’il n’y pas de bonté sans amour. Enfin, ce n’est pas parce qu’ils sont libres qu’il faut les éduquer ; c’est pour qu’ils aient une chance, peut-être, de le devenir. C’est ce que j’appelle l’humanisme pratique, qui ne vaut que par les actions qu’il suscite. Ce n’est pas une croyance, c’est une volonté. Pas une religion ; une morale. (…) Pas besoin de croire en l’homme pour vouloir le bien des individus et le progrès de l’humanité ! ». Et, pour terminer, ceci : « L’homme n’est pas Dieu. Faisons en sorte, et l’on n’en a jamais fini, qu’il soit à peu près humain. »


Si nos trois auteurs ont jugé nécessaire de considérer le transhumanisme, le vitalisme ou le soin comme des humanismes, c’est que ces trois concepts auraient pu être autre chose. Mais quoi précisément ? Un matérialisme ? Un idéalisme ? Un antihumanisme ? Un posthumanisme ?

Notons que c’est le philosophe chrétien Jacques Maritain qui a créé le terme d’antihumanisme pour qualifier les philosophies de Marx, de Nietzsche et de Freud, ceux qu’on appelle parfois les « philosophes du soupçon ». Sans aller jusqu’à adopter ce terme d’antihumanisme, les critiques de l’humanisme ne manquent pas, à commencer par celle de Gilbert Hottois, qui écrit, dans son opuscule, en parlant du posthumanisme : « Un usage plus classique de « posthumanisme » consiste à regrouper sous ce terme un ensemble de critiques adressées aux présupposés et aux préjugés des humanismes traditionnels et modernes. Ceux-ci sont fondés sur une conception du sujet humain qui lui attribue une place tout-à-fait à part dans le cosmos, une conception pré-darwinienne et quasi pré-copernicienne. Le sujet humain, conscient et libre, spirituel, ne diffèrerait pas graduellement mais catégoriquement des autres êtres naturels. Être « post-humaniste » revient à dénoncer ces illusions et leurs conséquences : l’anthropocentrisme spéciste qui sépare radicalement l’espèce humaine des autres êtres vivants, les opprime ou les détruit ; la fiction d’un sujet qui méconnaît tous les déterminismes (…) qui limitent sa liberté et sa lucidité. L’humanisme traditionnel et moderne serait en outre une invention de l’Occident, ethnocentriste, sexiste, colonialiste et impérialiste. » Rien que cela !


On le sait, le spécisme est devenu aussi condamnable que le racisme pour les défenseurs de la cause animale, pour lesquels les humains et les animaux ont les mêmes droits, sans parler des tenants de l’écologie profonde, la « deep ecology », pour lesquels l’homme n’a aucun droit de plus que les autres êtres vivants, la Terre (qu’ils personnifient parfois en la nommant Gaïa), étant considérée aussi par eux comme un être vivant. Exit la pyramide du vivant…

Je note en passant que le fleuve Whanganui, cours d’eau sacré des Maoris de Nouvelle Zélande, s’est vu décerner la personnalité juridique qui en fait une entité vivante, comme nous l’apprend Patrick Corneau dans son dernier billet du Lorgnon mélancolique.


Mais revenons à nos trois auteurs, et, surtout, à Cynthia Fleury, qui souhaite remettre les « humanités » (au sens où l’entendaient les humanistes de la Renaissance) au sein des préoccupations médicales, par le biais de sa chaire de philosophie à l’hôpital. Je ne peux qu’adhérer à cette démarche. Cette chaire, d’abord établie à l’Hôtel-Dieu de Paris, est actuellement installée au Conservatoire national des Arts et Métiers, toujours à Paris, où elle porte le beau nom suivant : « Humanités et Santé ».


Je donne la parole à Cynthia Fleury : « Du souci de soi au souci de l’é/État de droit, tel est le chemin éternel de l’humanisme. » Et, plus loin, ceci : « Je considère pour ma part que la défense de l’exceptionnalité de l’homme reste la seule manière d’imaginer et de maintenir l’humanisme du genre humain, au sens où celui-ci remet en cause la barbarie… » Ces phrases appartiennent au premier chapitre de l’opuscule « Le soin est un humanisme » intitulé « Le soin, le propre de l’homme ». M’est-il permis de contester que le soin, au sens du souci de l’autre, soit le propre de l’homme ? Les éthologues nous apprennent que beaucoup d’animaux sauvages sont capables de prendre soin de leurs congénères, notamment les éléphants, qui soutiennent un membre blessé du troupeau tant que cela ne remet pas en question la survie du groupe. Et quand l’éléphant blessé ou malade ne peut plus suivre le troupeau, il s’en écarte pour se laisser mourir, et permettre à ses congénères de poursuivre leur route. Est-ce que cela ne ressemble pas au comportement humain dans ce qu’il a de plus noble ? Et je me permets de renvoyer à mon billet sur l’empathie, dont l’existence est clairement démontrée chez certains animaux.


Paray le Monial la nuit.

Dr C. Thomsen, février 2020

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