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L’autopsie de Jean-Louis Fournier

Dernière mise à jour : 18 janv. 2020

Jean-Louis Fournier est un écrivain singulier. Longtemps complice de l’immense Pierre Desproges, c’est lui qui rédigea la dépêche annonçant la mort de ce dernier, de la manière suivante : Pierre Desproges est mort d’un cancer. Étonnant, non ! Ceux de mes lecteurs qui sont trop jeunes pour avoir connu La minute nécessaire de Monsieur Cyclopède, ignorent probablement que cet Étonnant, non ! terminait systématiquement chacune de ces petites chroniques télévisées diffusées quotidiennement sur FR3, dans lesquelles Desproges déployait un humour absurde et grinçant, et dont Jean-Louis Fournier était le réalisateur. Les sujets traités étaient souvent loufoques, mais parfois sulfureux, comme l’impensable aujourd’hui :               « Essayons en vain de cacher notre antisémitisme ». Je crois ne pas être le seul à trouver qu’un type comme Pierre Desproges manque beaucoup à notre monde aseptisé par le politiquement correct et l’écriture dite inclusive. Il se moquait déjà de cette habitude qu’ont les politiciens de dire « Françaises, Français » en rajoutant systématiquement « Belges, Belges » à chaque fois qu’il entamait son réquisitoire du Tribunal des flagrants délires, célèbre émission de radio dont il était le procureur. Peut-être était-ce lui aussi qui commençait des parodies de discours du PCF par l’exorde « Camarades, Camarades » ? Je n’en suis pas très sûr.


Ce petit détour nostalgique par l’humour de Desproges m’a semblé nécessaire, tant celui de Jean-Louis Fournier, qui a longtemps travaillé avec ce dernier, son contemporain, relève du même registre, à l’œuvre dans un de ses derniers livres, Mon autopsie, qui vient de sortir en livre de poche.

Ce petit bouquin se présente sous forme de très courts chapitres (de quelques lignes à deux pages, rarement plus), chapeautés par un titre malicieux (Du ménage dans mes méninges ; Le poids du cerveau d’un imbécile). Les chapitres sont de deux types, qui alternent régulièrement. Certains racontent la progression de l’autopsie de l’auteur, qui a « donné son corps à la science », par une jeune et charmante étudiante en médecine qu’il va baptiser Égoïne, comme la scie du même nom. Notre auteur n’est pas insensible au charme d’Égoïne, avec qui il se verrait bien avoir une dernière aventure. Les autres chapitres constituent une sorte d’autobiographie post mortem. Au fur et à mesure que l’autopsie avance, l’auteur nous fait des confidences sur ce qu’a été sa vie, sa personnalité, ses heurs et malheurs, ses envies, ses regrets, ses différents métiers (le cinéma, la télévision, l’écriture de ses bouquins, ses spectacles), ses amours (nombreuses), ses goûts musicaux (auxquels je souscrits complètement) et picturaux (notamment Turner, et Egon Schiele, sur lequel il a réalisé un documentaire), son amour pour les chats. Mais les plus beaux passages sont dédiés à sa fille, qui l’a quitté en entrant en religion, et surtout à sa chère épouse, Sylvie, partie définitivement avant lui. De leur couple il écrit cette jolie phrase : « Elle avait les qualités, j’avais les défauts ».


La meilleure façon de rendre compte de ce bouquin tendre et drôle, nostalgique mais optimiste, et bien plus profond qu’il n’y paraît, c’est, me semble-t-il, d’en citer purement et simplement des extraits, avec parfois un léger commentaire. Ce sera moins fatiguant pour moi. Et puis l’humour, ça ne se décortique pas comme les langoustines, ça se déguste en entier. Je me souviens d’un sketch hilarant des Guignols de l’info sur Canal +. Le directeur des programmes, le regretté Alain de Greef, avait été convoqué par le CSA à propos d’un gag comportant une phrase particulièrement grossière. La marionnette de De Greef se justifiait tant bien que mal en expliquant que cela faisait partie du fameux « humour Canal ». La marionnette du président du CSA lui répondait cette phrase inoubliable : « Nous comprenons parfaitement que c’est de l’humour. Mais pourquoi est-ce drôle ? ». Il suffit de lire Jean-Louis Fournier pour comprendre que l’humour, c’est souvent drôle. Mais tous les humoristes ne me font pas rire, loin de là.


Jean Fautrier. Toile photographiée au musée des Beaux-Arts de Dijon

Cela commence par :

-Tu as des nouvelles de Jean-Louis Fournier ? On entend moins parler de lui.

-Peut-être qu’il est mort.

-On le saurait.

-Pas sûr…


L’amphithéâtre des morts

Aujourd’hui on distribue les cadavres. Le soleil pénètre à travers la verrière de l’amphithéâtre des morts de l’Académie de médecine. Il y a beaucoup de monde, les professeurs en blouse blanche, des étudiants de toutes les couleurs et nous, les généreux donateurs, alignés, recouverts d’un drap blanc. Je fais partie des généreux donateurs.

J’ai donné mon corps à la science.

Le récit de son autopsie peut commencer.


Les bras m’en tombent

Une main tiède a pris ma main, l’a reposée sur la civière, le long de ma cuisse, avec beaucoup de délicatesse.

J’ai compris que j’allais être adopté.

(…)

Nous allons passer une année ensemble.

Peut-être une histoire d’amour entre une jeune vivante et un vieux mort ?

Je voudrais être son cadavre exquis.


Je vais l’appeler Égoïne

Elle est entrée dans ma vie avec une lame.

Peut-être d’abord celle d’un coupe-papier pour mes livres, maintenant avec une scie, pour en savoir plus.

Après avoir découpé mes livres, elle va me découper en vrai.

Tailler dans le vif du sujet.

Elle va écrire mes Mémoires avec son bistouri.


Laissez-moi rire

Pour moi l’humour était un dérapage contrôlé, un antalgique, une parade à l’insupportable, une écriture au second degré, une lame à double tranchant, un détergent. Il nettoie, comme la pyrolyse, brûle les saletés, efface les taches, les préjugés, les rancœurs, les rancunes.

Quelle belle définition de l’humour ! C’est en tout cas le genre d’humour que j’aime.

(…)

Plus tard, dans mes livres, j’ai essayé de rire de tout.

De la grammaire, de l’alcoolisme de mon père, de l’hypocondrie de ma mère, de mes enfants handicapés (dans l’inénarrable, iconoclaste et controversé Où on va, papa), de ma vieillesse et j’ai voulu rire de ma mort.

Il brosse là un panorama assez complet de son œuvre littéraire.


La tentation

Plus de mille fois j’ai récité « Ne nous laissez pas succomber à la tentation ».

Eh oui, dans son enfance comme dans la mienne, on vouvoyait Dieu, en récitant le Notre Père. Je crois que l’on récite maintenant « Ne nous soumets pas à la tentation ». Mais je ne suis pas un spécialiste ès prières.

Heureusement, Dieu ne m’a jamais exaucé.

(…)

Mon bonheur aura toujours été de succomber à la tentation.


La main dans le sac

Après nous avoir dit qu’il aurait aimé être pianiste, pour donner des frissons et faire pleurer :

Seulement maintenant, je prends conscience que le but de ma vie a été toujours de faire rire et de faire pleurer, d’émouvoir.

Que Jean-Louis Fournier se rassure, il y parvient très bien.

Ma hantise était l’indifférence, passer inaperçu, pire, ennuyer.

Là encore, aucun risque.


Est-ce que j’étais cultivé ?

Un peu, pas trop. Je n’ai jamais été curieux.

La culture, c’est la récompense de la curiosité.

Je ne peux que souscrire à cette magnifique définition de la culture.

(…)

Les exégèses, les analyses de texte, surtout pour la poésie, me faisaient penser à des autopsies.

(…)

J’aimais beaucoup la peinture. Les tableaux, à la différence des films, on peut les regarder le temps qu’on veut.

Quand j’étais heureux devant un tableau, je n’essayais pas de savoir pourquoi.

Julien Green a écrit quelque part dans son Journal qu’il n’allait jamais au Louvre que pour voir un seul tableau par visite (et sans ces maudits audioguides, que déteste tant Patrick Corneau). Quel luxe !

Le bonheur que j’ai eu sur terre, je le dois en partie aux émotions que m’ont données les artistes. Les bienfaiteurs de l’humanité.

Jean-Louis Fournier n’est définitivement pas qu’un humoriste.


Un léger mieux

Avec le temps j’avais l’impression de m’être bonifié.

(…)

Je le dois à Sylvie. Elle m’a affiné comme un fromage, raffiné comme du sucre, fait briller comme un vieux meuble…

Le plus triste, elle n’en a pas profité.

Je quitte la terre sans rien emporter, sauf une énorme quantité de remords et de reconnaissance à Sylvie.

Elle m’a tout donné, sans rien me demander.

Il n’est jamais trop tard pour exprimer d’aussi beaux et sincères regrets.


La fin des haricots

Ce jour-là, j’aimerais partir sous des tonnerres d’applaudissements.

Il n’y aura pas de rappel.


P.-S. De toute façon, je m’en fous, demain c’est Pâques et je ressuscite.


Étonnant, non ?

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