Laurent Seksik vient de publier Franz Kafka ne veut pas mourir, roman que j’ai adoré et dévoré comme tous les autres livres de ce radiologue devenu romancier.
Si l’on s’en tient au domaine français, il est l’héritier d’une longue lignée de médecins ayant succombé à la passion de l’écriture, tradition qui remonte à Rabelais et se poursuit avec Louis-Ferdinand Céline, Georges Duhamel, Henri Mondor, Jean-Christophe Ruffin, et quelques autres écrivains de moindre envergure. J’ai consacré des « propos » de ce blog à quelques-uns d’entre eux.
Certains ont continué l’exercice de la médecine (c’est d’ailleurs le beau titre d’un des livres de Laurent Seksik) toute leur vie, comme Céline, d’autres l’ont arrêtée quand leur activité littéraire a pris le dessus. C’est le cas de notre auteur.
Celui-ci s’est fait une spécialité de ce que certains appellent l’ « exofiction », d’autres la « biographie romancée », pratique que dénoncent certains biographes comme Dominique Bona, qui refuse de faire tenir aux personnages réels dont elle raconte la vie des propos inauthentiques imaginés par le biographe.
Laurent Seksik excelle dans ce genre, et choisit comme héros de ses romans soit des personnalités célèbres, comme Stefan Zweig (Les derniers jours de Stefan Zweig), soit des proches d’une personnalité connue, tel le fils schizophrène d’Albert Einstein (Le cas Eduard Einstein), ou Arieh Kacew, le père de Romain Gary (Romain Gary s’en va-t’en guerre), alors que Gary a magnifiquement décrit la personnalité aussi flamboyante qu’envahissante de sa mère dans La promesse de l’aube, roman duquel le père est pratiquement absent.
Mais il est également capable d’une biographie classique, comme celle qu’il a consacrée à Albert Einstein, ou d’une splendide autobiographie, Un fils obéissant, dans laquelle son père, qui l’a orienté vers l’écriture, joue un rôle essentiel (la médecine, c’était plutôt le souhait de sa mère).
Sa dernière cible est Franz Kafka, dans les trois dernières années de sa vie, et surtout trois personnages essentiels de son entourage, dont le roman nous fait suivre les tragiques destins croisés : le docteur en médecine Robert Klopstock, qui l’a assisté dans ses derniers instants, et qui deviendra, aux États-Unis, un chirurgien thoracique très réputé, spécialiste du traitement chirurgical de la tuberculose ; Dora Diamant, sa dernière compagne, qui œuvrera toute sa vie pour la mémoire de Franz ; et enfin Ottla, sa sœur bien-aimée, qui ne survivra pas à la barbarie nazie.
Ces trois personnes l’ont infiniment aimé et admiré.
Un court prologue daté du 4 juin 1924 nous apprend la mort de Franz Kafka, survenue la veille au sanatorium de Kierling, au nord de Vienne. Ce décès est « lié aux suites d’une laryngite tuberculeuse fulminante », selon le rapport du Dr Hoffmann.
Ce médecin précise que les causes de la mort « sont liées à la répétition des injections de morphine pratiquées en vue d’atténuer les souffrances du patient et l’étouffement causé par l’envahissement du larynx ».
Les personnes présentes au chevet du défunt le lendemain sont les parents de Franz, son grand ami Max Brod, qui jouera un rôle essentiel dans la diffusion de l’œuvre de Kafka, son oncle le Dr Siegfried Löwy, sa compagne Dora Diamant, et enfin son jeune ami étudiant en médecine à Budapest, Robert Klopstock. Sa sœur chérie Ottla n’est pas présente ; elle est restée à Prague dans l’appartement familial.
En raison de ses compétences médicales, et en accord avec Franz, Robert s’est vu proposer la prise en charge du patient, qu’il tente à tout prix de sauver. C’est lui qui a signalé son décès, survenu après qu’il lui a fait « l’injection de morphine létale ». Il s’agit donc d’un cas avéré d’euthanasie, qui ne semble pas avoir ému outre mesure le responsable médical du sanatorium. Et cette demande d’euthanasie semble contredire le titre du livre. En effet l’homme Kafka a bien souhaité mourir, même si Dora, au chevet de Franz agonisant, a eu envie de crier aux médecins incapables de sauver l’homme de sa vie : « Franz Kafka a trouvé l’amour, Franz Kafka ne veut plus mourir. » Mais il a aussi demandé expressément que l’on détruise tout les papiers qu’il laissait, ce à quoi son ami Max Brod se refusera. C’est l’œuvre de Kafka qui n’a pas voulu mourir.
Philippe Chauché parle de ce livre beaucoup mieux que je ne pourrais le faire :
« Franz Kafka ne veut pas mourir est le roman passionnant de trois parcours de vie, de trois admirations et de trois passions pour Franz Kafka. L’ami, l’épouse et la sœur, ici le plus beau, le plus touchant, le plus admirable trio que la littérature puisse nous offrir. »
Plus loin : « Laurent Seksik signe là un roman qui fera date, qui désormais siège aux côtés des œuvres de Kafka, de ses nouvelles et romans et de son Journal. Il les éclaire, comme il nous éclaire, nous enchante et nous fait parfois frémir. »
Et enfin : « Le roman de Laurent Seksik est admirable pour tout cela, il nous enveloppe par son style, tout en finesse, sa musique intime qui s’élève sous nos yeux, tel un oratorio, par cette façon d’admirer, de saisir et dessiner ses personnages, témoins d’un siècle qui s’effondre. Le roman les ressuscite, et leurs mots resteront longtemps gravés dans nos mémoires, on entend leurs voix, on surprend leur visage, et le précieux sourire de leur ami, leur frère, leur époux, présent à jamais : Franz Kafka.»
Comme je suis bien incapable d’un tel lyrisme dans l’enthousiasme, je me contenterai, dans trois propos à venir en forme de feuilleton, de résumer à grands traits le parcours des trois héros de ce livre, retracé de magnifique façon par Laurent Seksik.
Chapeau bas, cher Confrère…
Vous donnez envie de lire ce roman, il est vrai - évolution sociétale oblige - les « fins de vie » deviennent presque un sous-genre littéraire à part entière entre fascination (avec un peu de voyeurisme parfois) et méditation sur le mystère de la mort…