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Le goût du vrai selon Étienne Klein (1)


Dans une série de propos publiés sur ce blog (« Trois essayistes »), j’ai déjà eu l’occasion de dire tout le bien que je pensais des incomparables qualités de vulgarisateur scientifique d’Étienne Klein, par ailleurs épistémologue et physicien de renom. Son goût pour la vérité scientifique est rudement mis à l’épreuve en ce moment, d’une part par l’épidémie de Covid-19, d’autre part par l’apparition sur la scène internationale du « menteur en chef » Donald Trump, qui est aussi, hélas, l’homme le plus puissant du monde puisqu’il est président des États-Unis. Et, avec la crise sanitaire, il joue sur les deux tableaux, en disant n’importe quoi sur tous les sujets, y compris celui de la crise sanitaire pour lequel il est notoirement incompétent, tout cela pratiquement sans contradicteur audible.


C’est pour que nous puissions tous être éclairés sur ce sujet controversé de la vérité (sur lequel j’ai écrit en 2017 un article publié dans mon encyclopédie médicale en ligne), qu’Étienne Klein vient de publier dans la collection « Tracts » de Gallimard un petit livre d’une bonne cinquantaine pages, joliment intitulé « Le goût du vrai », dont je ne saurais trop vous recommander la lecture.

Comme souvent notre auteur aime placer en tête de ses chapitres des citations tirées de ses lectures éclectiques, qui témoignent de l’étendue de sa culture littéraire et philosophique, laquelle va de pair avec son indiscutable érudition scientifique. Il place en exergue de son texte un extrait tiré d’un livre de David Hume, Le Sceptique, que l’on peut trouver dans les Essais moraux, politiques et littéraires. En 1742 David Hume écrivait ceci : « Même si le genre humain tout entier concluait de manière définitive que le Soleil se meut et que la Terre demeure en repos, en dépit de ces raisonnements le Soleil ne bougerait pas d’un pouce et ces conclusions resteraient fausses et erronées à jamais. »

Et pourtant, jusqu’à Galilée, c’est le géocentrisme qui était la doctrine officielle. Galilée imposa, non sans mal, l’héliocentrisme, quelque peu bousculé à son tour par la théorie de la relativité générale. Ce que voulait dire David Hume, c’est que les vérités scientifiques ne sont pas des opinions, et qu’elles ne seront jamais le résultat d’un vote ou d’un sondage, ce qui, pour qui suit de près l’actualité récente de la crise du Covid-19 (ou de la Covid-19, choisissez), ne semble plus vraiment aller de soi.

Notre auteur a organisé son texte en quatorze courts chapitres, que je m’amuse à imaginer comme une référence aux quatorze stations du Chemin de croix de la tradition catholique, qui évoqueraient ainsi les étapes de la Passion de la Vérité.

Première station : Comme un trouble dans les esprits, avec une citation de Kafka.


L’auteur rappelle un sondage paru dans Le Parisien du 5 avril, dans lequel était posée l’ahurissante question suivante : « D’après vous, tel médicament (la chloroquine, bien sûr, mais Klein ne le dit pas), est-il efficace contre le coronavirus ? » Les réponses étaient les suivantes : oui pour 59% des sondés, non pour 20%. Seuls 21% des personnes interrogées donnaient la bonne réponse à cette très mauvaise question, à savoir qu’ils n’en savaient rien. L’immense majorité des autres pensaient donc savoir ce qu’aucun scientifique ne savait à cette date, sauf bien entendu le promoteur de ce traitement, pour lequel il n’y avait aucun doute. La façon péremptoire dont Didier Raoult avait affirmé l’efficacité de son traitement avait réussi à convaincre 6 personnes sur 10 !

Étienne Klein évoque quatre biais cognitifs qui interfèrent trop fréquemment avec notre capacité de juger :

1) La tendance à accorder davantage de crédit aux thèses qui nous plaisent qu’à celles qui nous déplaisent. Nous aurons ainsi toujours tendance à accorder plus de crédit à un politicien pour qui nous avons voté qu’à un autre pour lequel nous ne voterons jamais.

2) L’ipsédixitisme : ce plaisant néologisme nous vient directement d’une expression latine, ipse dixit, que l’on peut traduire de la manière suivante : « le maître lui-même (ipse) l’a dit (dixit). » Donc, circulez, et cessez de discuter. C’est ce que d’aucuns appellent « l’effet gourou ». Cette sensibilité aux « arguments d’autorité » nous pousse à croire qu’une chose est vraie parce que nous l’avons lue ou entendue. Si nous l’avons lue dans un journal réputé pour son sérieux, ou entendue dans une émission irréprochable, il n’y a pas grand danger que cette information soit fausse. Encore que… Souvenons-nous de l’arrestation en Écosse du malheureux individu confondu par la police avec Dupont de Ligonnès ! Mais si cette « information » vient d’un site internet douteux, ou, pire, d’un forum d’internautes ou d’un réseau social, on mesure aisément le risque qu’elle soit fausse.

3) L’ultracrépidarianisme, autre néologisme savoureux (qui n’est pas une plaisanterie de l’auteur, comme je l’ai d’abord cru), élaboré à partir de de la locution latine « Sutor, ne supra crepidam » (ce qui veut dire que le cordonnier doit s’arrêter au rebord de la chaussure). En clair, ce mot plaisant, qu’Étienne Klein va utiliser à plusieurs reprises dans son texte, désigne la tendance très répandue à parler de sujets que l’on ne maîtrise pas ou peu, pratique courante chez les journalistes qui sont loin d’avoir des compétences indiscutables sur tous les sujets dont ils parlent. Mais ils ne sont pas les seuls, loin de là. En français populaire, cela donne l’expression bien connue « à chacun son métier, et les vaches seront bien gardées ».

4) La confiance que l’on accorde à l’intuition personnelle, au bon sens (qui n’est pas une vertu scientifique), aux évidences apparentes, pour émettre un avis sur des sujets scientifiques. Les exemples abondent de ces fausses évidences. N’en prenons qu’un seul : bien que les boules de pétanque atteignent plus vite le sol que les feuilles mortes qui tombent de l’arbre en prenant leur temps, il est inexact de dire que la gravité ferait tomber les corps lourds plus vite que les corps légers. C’est la résistance de l’air qui fait la différence. Autrement dit, la science est souvent contre-intuitive, et Gaston Bachelard écrivait dans La formation de l’esprit scientifique que faire de la science, c’est « penser contre son cerveau ».

Le droit des citoyens à émettre des avis reste bien évidemment absolu (du moins en démocratie), mais avoir un avis ne signifie nullement connaître la justesse ou la fausseté d’un énoncé scientifique. Les revues scientifiques ne sont pas parfaites, et il leur arrive de publier des articles contenant des erreurs ou des conclusions biaisées, comme ce fut le cas ces derniers mois pour deux des revues médicales anglo-saxonnes parmi les plus prestigieuses, à savoir The Lancet et le New England Journal of Medicine à propos du Covid-19 (voir mes deux billets sur Didier Raoult). Mais ni Facebook ni Twitter ne peuvent délivrer une quelconque vérité scientifique.

Cependant David Hume laisse de côté un point important, à savoir que les vérités scientifiques ne sont ni absolues ni définitives. C’est ainsi que jusqu’à ce qu’Einstein élabore sa théorie de la relativité restreinte, en 1905, les scientifiques croyaient à l’existence d’un « éther luminifère » censé permettre la propagation de la lumière. Exit l’éther…

D’autres vérités scientifiques peuvent, sans être démenties, évoluer quelque peu dans le temps. Depuis qu’Einstein a formulé sa théorie de la relativité générale en 1915, il n’est plus tout à fait exact de dire que la Terre tourne autour du Soleil, car celui-ci n’est plus un référentiel doté d’un statut particulier. Mais cela ne veut pas dire que Copernic et Galilée s’étaient trompés. Leurs réponses à une question bien posée étaient correctes à leur époque. Depuis, les progrès de la physique ont changé notre compréhension de la gravitation.

Deuxième station : L’autopromotion de l’inculture, avec La Bruyère

Étienne Klein rappelle que certains sujets se prêtent à des discussions passionnées (le juste et l’injuste, selon le Léviathan de Thomas Hobbes), alors que d’autres sujets sont moins conflictuels (les mathématiques, toujours selon Hobbes). En effet la géométrie « ne contrecarre l’ambition, le profit ou la concupiscence de personne. »

Ce qui est vrai pour les mathématiques l’est aussi pour certaines découvertes fondamentales. Nul n’a contesté la détection, en 2012, du fameux boson de Higgs, dont l’existence avait été prédite plusieurs années auparavant, et dont l’extrême brièveté d’existence ne fait de tort à personne.

Mais tel n’est pas le cas pour certains résultats scientifiques qui dérangent le monde des humains, dans leur façon de penser ou leur mode de vie. Le plus souvent ces affirmations de scientifiques sont dégradées en simples opinions. L’exemple frappant que donne Étienne Klein est celui d’un ancien ministre (de l’Éducation ; il s’agit de Claude Allègre, qui n’est pas nommé), géologue de renom et climato-sceptique assumé sans être nullement climatologue, expliquant sur tous les plateaux de télévision qu’il ne fallait pas donner de crédit au réchauffement climatique car les climatologues seraient tous, selon lui, des incompétents. Tout cela m’évoque une séquence surréelle vue ce 14 septembre, dans laquelle Donald Trump dialogue avec des scientifiques, à l’occasion des incendies en Californie. Il affirme tranquillement que le climat va finir par se refroidir. Un de ses interlocuteurs lui objecte que ce n’est pas ce que dit la science. Et Donal Trump de répondre, avec son aplomb habituel, qu’il ne pense pas que la science le sache…

De nos jours la tendance à avoir un avis non éclairé sur tout, et à le répandre le plus largement possible, gagne du terrain. Dans cette vision la science ne serait qu’une croyance parmi d’autres, à laquelle il serait permis de ne pas adhérer.

Et la pandémie de Covid-19 a été un formidable exemple de cette dérive. On a pu parler de « populisme scientifique », ou de « démagogisme cognitif » (Gérald Bronner). À propos du débat sur le traitement préconisé par Didier Raoult (toujours non cité), Étienne Klein rappelle que de hauts responsables politiques, pour certains anciens ministres, ont fait des déclarations commençant par la phrase rituelle suivante : « Je ne suis pas médecin, mais je pense que… »

Le champion toutes catégories de cette invocation au fameux « bon sens » est Donald Trump, cette fois-ci ouvertement nommé. Celui-ci s’est fait une spécialité des « faits alternatifs ». Le 18 mai 2020, Trump s’est surpassé dans l’ultracrépidarianisme et l’ipsédixitisme en déclarant qu’il avait commencé à prendre de la chloroquine « parce que ça ne peut pas faire de mal » et qu’il avait « entendu beaucoup de bonnes histoires à son sujet ».

Bref, nous vivons une époque formidable.

Troisième station : Savoir ce qui est su et ce qui n’est pas su, avec Nietzsche

Si les chercheurs, les spécialistes, ceux que l’on appelle actuellement les sachants, ne sont pas vaccinés contre le narcissisme qui fleurit de toutes parts, ils n’ignorent pas, en revanche, le contenu des savoirs, qu’ils ont acquis au prix d’un dur labeur. Mais cela ne les exempte en rien des défauts habituels des humains, dont la liste est longue. Comme tout le monde, les scientifiques peuvent se tromper, se laisser influencer, et même tricher, ce qui sème le doute sur l’exactitude de leurs résultats.

Il n’y a pas de définition précise de la science, mais toutes répondent au critère de la progression par l’organisation collective des controverses scientifiques. Pour le dire avec les mots de Karl Popper, la science procède de « la coopération amicalement hostile des citoyens de la communauté du savoir ». J’ai entendu récemment sur un plateau de télévision un médecin déplorer que, dès que deux experts ne sont pas d’accord entre eux, c’est le mot « clash » qui est employé par les journalistes pour traduire ce désaccord constructif.

L’auteur rappelle que la recherche est extrêmement chronophage, et que la crise sanitaire actuelle a mis sous le feu des projecteurs le conflit entre deux temporalités inconciliables, celle du politique, qui doit prendre des décisions souvent urgentes, et celle de la recherche, qui peut essayer d’accélérer ses protocoles, mais doit refuser de s’affranchir de la nécessaire méthodologie. Et c’est ici que Didier Raoult (jamais nommé par l’auteur) refait surface, avec sa contestation assumée du pouvoir des « méthodologistes », pour lesquels il n’a que mépris. Étienne Klein a raison de dire que l’urgence n’a jamais rendu un traitement encore à l’étude plus efficace ou moins dangereux qu’il n’est en réalité.

Quand il y a urgence à agir, le rôle des politiques est de fixer le cap et de tenir la barre sur ce cap, autrement dit de prendre des décisions. Pour ce faire, ils ont besoin de tenir compte de ce que les scientifiques savent et, aussi, de ce qu’ils ne savent pas (du moins pas encore). Pour le juriste Alain Supiot, les scientifiques sont un « service de phares et balises ». J’aime bien cette poétique définition du rôle des experts.

Quatrième station : L’effet Dunning-Kruger ou l’art d’être à l’aise, avec une citation de Coluche (eh oui…). Coluche avait un sketch inénarrable en forme de revue de presse qui commençait par cette phrase On s’autorise à penser, dans les milieux autorisés… Coluche me manque terriblement…

Parler avec aplomb de ce que l’on ne connaît pas est la manifestation d’un biais cognitif connu depuis Aristote et bien étudié en 1999 par deux psychologues américains, David Dunnig et Justin Kruger. On appelle donc ce travers l’effet Dunnig-Kruger, qui repose sur un double paradoxe : d’une part, pour mesurer son incompétence, il est nécessaire d’être compétent ! ; d’autre part, l’ignorance rend plus sûr de soi que la connaissance. Ce n’est qu’en creusant une question qu’on se rend compte qu’elle est plus complexe qu’on ne le pensait. J’en ai fait l’expérience avec l’article de Michel Eltchaninoff paru dans Philosophie magazine, intitulé Dans la tête de Didier Raoult. J’y ai appris que ce personnage est beaucoup plus complexe et intéressant qu’un simple virologue à l’égo surdimensionné, imperméable au doute et refusant toute controverse. Je serai dorénavant en mesure de parler de lui de manière moins caricaturale que je n’ai pu le faire.

Étienne Klein évoque un livre auquel il se réfère souvent, Vérité et véracité. Essai de généalogie, (paru chez Gallimard en 2006) de Bernard Williams. Ce philosophe britannique (dont je n’avais jamais entendu parler) observe dans la société actuelle la coexistence de deux courants de pensée contradictoires : d’une part un attachement très fort à la véracité ; d’autre part une grande défiance à l’égard de la vérité elle-même, dont on finit par se demander si elle existe vraiment. Du côté de la véracité, il note la détermination à crever les apparences pour détecter d’éventuelles motivations cachées derrière les discours officiels ; bref, à ne pas être dupe. Bernard Williams note que, curieusement, ces deux attitudes opposées (désir de véracité et contestation de l’idée même de vérité), qui devraient en bonne logique s’exclure mutuellement, font en pratique plutôt bon ménage, mais non sans dommage. La dynamique décrite par Bernard Williams explique en effet l’affaiblissement du crédit accordé à la parole des scientifiques tout autant que la suspicion généralisée vis-à-vis de toute forme d’expression institutionnalisée, et cela depuis quelques décennies déjà.

Cinquième station : Quand l’idée d’avenir s’assombrit, avec Jean-Pierre Dupuy

En 1972 le Club de Rome publiait le fameux « rapport Meadows » qui sonnait l’alerte sur le risque d’effondrement qui guettait l’humanité du fait de la croissance démographique et industrielle. Depuis, la situation de la planète ne fait qu’empirer, et l’avenir est de plus en plus sombre.

Étienne Klein constate l’effondrement de l’idée de progrès, le mot ayant quasiment disparu des discours publics, remplacé par « innovation ». Mais, selon lui, il ne s’agit pas du tout de deux synonymes. S’il faut innover à tout prix, ce n’est pas pour inventer un monde nouveau, mais pour éviter la décomposition de l’actuel. Comme si nous étions devenus incapables de proposer un projet commun qui soit à la fois attractif et crédible. Crédible, il n’est pas attractif ; attractif, il n’est pas crédible.

Les vérités de la science ne nous consolent plus ; au contraire, avec leurs lots de mauvaises nouvelles, elles nous inquiètent et nous désenchantent. Le divorce est consommé entre l’idée de science et celle de plaisir. Ce que Nietzsche a résumé de la manière suivante : « La science donne beaucoup de satisfaction à celui qui y consacre son travail et ses recherches, mais fort peu à celui qui en apprend les résultats. » Et, un peu plus loin, ceci : « … on peut prédire à coup sûr le cours que prendra l’évolution humaine : le goût du vrai va disparaître au fur et à mesure qu’il garantira moins de plaisir ; l’illusion, l’erreur, la chimère vont reconquérir pas à pas, parce qu’il s’y attache du plaisir, le terrain qu’elles tenaient autrefois ; la ruine des sciences, la rechute dans la barbarie en seront la conséquence immédiate… » Quelle incroyable clairvoyance dans ce texte de 1878 ! Car nous sommes bien arrivés à la situation que prédisait Nietzsche, en nous montrant plus enclins à déclarer vraies les idées que nous aimons qu’à aimer les idées vraies.

Robert Musil prête à Ulrich, le héros de L’Homme sans qualité, la haine des « hommes incapables, selon le mot de Nietzsche, de souffrir la faim de l’âme par amour de la vérité ».

Sixième station : « Conspirations en plein jour », avec Proust

Étienne Klein se remémore la stupeur que fut la sienne en découvrant, à la lecture de 1984, l’implacable description que fait Orwell du monde totalitaire où la vérité est toujours mise en question. Dans cet univers d’anticipation, c’est la distinction entre vérité et mensonge, entre vérité et fiction, qui devient superflue. Ce qui importe, c’est uniquement de maintenir la croyance collective dans la fable officielle. Dans les régimes totalitaires la notion d’information objective perd toute signification. L’histoire y est constamment réécrite en fonction des besoins du moment, et les découvertes scientifiques peuvent être niées ou reformulées si elles sont jugées inappropriées. L’auteur donne un exemple de cette dérive dans l’Union Soviétique, pays dans lequel le biologiste Lyssenko, de sinistre mémoire, affirmait, à rebours de tout ce que l’on savait, le caractère héréditaire des caractères acquis. Mais, depuis Lyssenko, l’épigénétique est passée par là…

Étienne Klein craint que les pays démocratiques ne soient aussi concernés par cette fragilité des vérités scientifiques, qui peuvent être victimes de ce qu’Alexandre Koyré appelait, dans son livre Réflexions sur le mensonge paru en 1943, des « conspirations en plein jour », autrement dit des mensonges publiquement assumés. Dans nos sociétés dites « post-modernes » il est beaucoup question de « post-vérité ». Ce néologisme a été imaginé en 1992, au lendemain de la guerre du Golfe. Dans son livre, The Wimping of America (La déroute de l’Amérique), Steve Tesich écrivait ceci : « Nous ne voulons plus de mauvaises nouvelles, nous attendons donc du gouvernement qu’il nous protège de la vérité ». C’est ce que Donald Trump, champion toutes catégories du mensonge en public et des faits alternatifs, semble avoir parfaitement compris. Ses entretiens téléphoniques avec le journaliste Bob Woodward (celui du Watergate) attestent qu’il était parfaitement informé de la gravité de la situation sanitaire liée au coronavirus, mais qu’il a délibérément tout minimisé pour ne pas inquiéter ses concitoyens.

Quant au fait que sa politique industrielle s’appuie essentiellement sur les énergies fossiles au risque d’aggraver le réchauffement climatique, il n’en a cure puisqu’il n’y croit pas. Et d’ailleurs sa première décision internationale a été de retirer son pays de l’historique Accord de Paris de 2015. Et tant pis pour l’humanité…

Septième station : De la joie de comprendre, avec Villiers de l’Isle-Adam

Pour Étienne Klein, quiconque a fréquenté d’un peu près les questions scientifiques le sait : il y a un « érotisme des problèmes ». Cependant de nombreux philosophes pensent qu’avec son objectivité froide, la science moderne semble n’avoir rien à dire qui soit susceptible de toucher notre affectivité. Simone Weil notamment, qui écrivait, dans L’Enracinement, « La science n’étudie que les faits comme tels. Or les faits, la force, la matière, isolés et considérés en eux-mêmes, sans relation avec rien d’autre, il n’y a rien là qu’une pensée humaine puisse aimer. »

Bien entendu ce n’est pas l’avis de notre auteur, qui parle de la joie singulière qui surgit dans l’esprit lorsqu’enfin il comprend ce qu’il cherchait à comprendre. Et ce qui est vrai pour la science vaut aussi pour la réflexion philosophique. Il poursuit en affirmant qu’il est tout à fait possible de garder vivante l’émotion de la quête, y compris à propos de découvertes très anciennes. Mais la grande question est la suivante : comment élargir la rationalité pour qu’elle devienne généreuse, poétique, excitante, contagieuse ? Ces défis sont ceux que les scientifiques n’ont pas su relever, tant la science semble actuellement triste, lointaine, complexe, étrangère. Un tel éloignement ouvre des boulevards au populisme scientifique, qui, en retour, nous détourne de la science.

Dût la modestie supposée d’Étienne Klein en souffrir, je dirais que lui, au moins, sait rendre la science vivante, intéressante, captivante, même pour quelqu’un comme moi qui n’a pas vraiment l’esprit scientifique. Qu’il en soit remercié…

Je garde pour un prochain billet la quintessence des sept dernières stations.

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