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Philippe Cassard et la bienveillance

Dernière mise à jour : 18 janv. 2020

Auditeur assidu de l’émission de Philippe Cassard sur France Musique, si joliment intitulée « Portraits de famille », je la retrouve avec bonheur après la trêve estivale. Elle a été déplacée de la fin de matinée du samedi au début d’après-midi du même jour. Qu’importe, du moment que cela reste à une heure de grande écoute qu’elle mérite amplement. Je fais en effet partie de ces dinosaures qui préfèrent écouter ou voir un programme quand il passe à l’antenne. Et c’est ce retour à l’antenne qui me donne l’envie de publier ce petit hommage que j’avais consacré l’année dernière au cher Philippe Cassard. Voici donc cet exercice d’admiration.


Philippe Cassard

Philippe Cassard est un de nos meilleurs pianistes actuels, mais il n’est pas que cela, loin s’en faut… À ses talents de pianiste il joint ceux d’écrivain, auteur de deux essais pertinents et passionnants sur Schubert et Debussy, aussi différents l’un de l’autre qu’il est possible de l’être. La monographie sur Debussy est sortie en 2018 pour le centenaire de la naissance de ce génie de la musique française, et je me suis empressé de la lire. Mais si j’ai envie de vous parler de lui, c’est à propos de son émission hebdomadaire sur France Musique, intitulée Portraits de famille. Tous les samedis, pendant deux heures, il nous parle d’un sujet qu’il a choisi, et qui tourne le plus souvent, mais pas toujours, autour de l’interprétation du piano. Et il le fait avec une chaleur émerveillée, un enthousiasme communicatif et une bienveillance constante, ce qui nous change du monde assez feutré mais néanmoins acerbe de la critique musicale. C’est ce qui le rend si attachant à mes yeux (et à mes oreilles). Qui plus est, il le fait avec une voix très radiogénique.


Monographie de Philippe Cassard consacrée à Schubert

Un seul exemple : dans l’émission du 9 juin 2018, il nous présentait quelques jeunes talents de la scène pianistique française. Après nous avoir fait écouter Clément Lefèbvre interprétant une œuvre de Rameau, il nous expliquait que lui-même joue souvent cette œuvre, mais de manière totalement différente. Et il concluait en nous affirmant que ce que fait ce jeune pianiste est tout simplement génial. Quelle classe… Cette admiration sincère pour ses collègues est distribuée à parts égales entre toutes les générations de pianistes : les grands aînés disparus (Arrau ou Michelangeli), ses contemporains (Philippe Bianconi, autre grand debussyste), les jeunes pousses (Florian Noack ou Nathalia Milstein), et, bien entendu, ses maîtres (Dominique Merlet, Geneviève Joy-Dutilleux ou encore Nikita Magaloff).

Quand je disais plus haut que la bienveillance n’est pas la vertu qui caractérise le mieux le monde musical, il suffit d’écouter La tribune des critiques de disques du dimanche après-midi, sur la même chaîne de radio musicale, pour s’en convaincre. Certes lesdits critiques ont le droit de dire qu’ils n’aiment pas les interprétations qui sont soumises à leur sagacité, et Philippe Cassard peut choisir de ne diffuser que des interprétations qu’il affectionne et des musiciens qu’il aime tout particulièrement. Les critiques et lui ne font pas le même métier. Mais, même si l’on n’est pas séduit par une interprétation, il doit être possible de le dire sans malveillance, sinon avec bienveillance. Je me souviens d’une émission qui portait sur le premier cahier des Études de Chopin, l’opus 10. C’est la version de Nicolaï Luganski qui fut plébiscitée par les trois critiques présents, avec des propos très élogieux. Quand le nom du lauréat fut révélé, la réaction d’un des trois critiques (dont je tais volontairement le nom) fut symptomatique : j’avais la nette impression qu’il était à la fois vexé de ne pas avoir reconnu l’interprète et surpris que ce pianiste, qu’il ne semblait pas tenir en grande estime, puisse jouer aussi bien cette œuvre emblématique. Bref, plus de dithyrambe, mais des « chichis », ce qui me semble assez révélateur de l’état d’esprit de certains critiques musicaux. Il aurait été plus élégant de reconnaître qu’il avait jusque-là sous-estimé ce pianiste. Mais c’était peut-être trop demander…

Et quand certain critique de ladite Tribune n’aime pas une version, il n’est peut-être pas nécessaire qu’il le fasse savoir en disant que cette interprétation n’a strictement aucun intérêt, ce qui est loin d’être le commentaire le plus désobligeant que j’ai entendu sortir de sa bouche souvent perfide.


Le critique musical Bernard Gavoty, dit Clarendon

Par ailleurs, les critiques ne devraient jamais oublier la mésaventure arrivée autrefois à un célèbre membre de cette corporation, Bernard Gavoty dit Clarendon, auteur entre autres écrits d’une belle monographie sur Chopin, qui descendit en flammes dans sa chronique musicale très appréciée du Figaro, le récital d’un pianiste qu’il n’aimait pas, auquel il n’avait malencontreusement pas pu assister puisqu’il avait été annulé ! Est-il possible de faire pire dans la malveillance (et dans le ridicule) ?

On pourra peut-être lui pardonner cette vilaine méchanceté après avoir dégusté une bouteille de la « cuvée Clarendon » du domaine Gavoty, domaine viticole provençal dont il avait hérité et dont il s’occupait lui-même, étant également viticulteur et ingénieur agronome diplômé de l’INA (l’institut national d’agronomie, et non pas celui de l’audiovisuel). Cet homme avait finalement bien des talents.


Dr C. Thomsen, septembre 2019

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