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Trois essayistes : Tzvetan Todorov (3)

Dernière mise à jour : 18 janv. 2020

Ce troisième billet met un point final à ce propos sur trois essayistes que j’apprécie tout particulièrement. Après Étienne Klein et Simon Leys, voici donc


Tzvetan Todorov (1939 – 2017)


Tzvetan Todorov

L’univers de Tzvetan Todorov s’est imposé à moi grâce à un livre d’entretiens avec Catherine Portevin (qui dirige la rubrique des livres de Philosophie magazine), joliment intitulé Devoirs et Délices. Une vie de passeur, paru en 2002. Ce titre est inspiré d’une phrase de Rousseau : « On fait tout pour son ami comme pour soi, non par devoir mais par délice ». Je n’avais jamais entendu parler des deux auteurs de ce livre, que j’ai acheté uniquement parce que son titre m’interpellait. D’où l’importance d’un bon titre pour donner envie au lecteur curieux d’aller plus loin… Totalement ébloui par la personnalité de Todorov, j’ai ensuite lu quasiment tous ses livres au fur et à mesure de leur publication, jusqu’au dernier, sorti peu après son décès. Dans l’avant-propos de ce livre d’entretiens, intitulé Vivre selon la nuance, Catherine Portevin insiste sur la grande douceur de son interlocuteur, son urbanité constante et son immense culture, qualités qui seront soulignées par André Comte-Sponville, comme j’aurais l’occasion de le dire dans quelques instants. Sur la quatrième de couverture (décidemment, j’utilise beaucoup les couvertures des livres !), Todorov revient sur ce qualificatif de « passeur » : « … après avoir traversé moi-même les frontières, j’essayais d’en faciliter le passage à d’autres. Frontières d’abord entre pays, langues, cultures, ensuite entre domaines d’étude dans le champ des sciences humaines (…) Dans les débats, j’aspire au rôle de médiateur. Le manichéisme et les rideaux de fer sont ce que j’aime le moins ». D’autres que lui auraient dit « ce que je déteste le plus », mais pas lui, ce qui témoigne de son goût immodéré pour la mesure.

Je profite de l’occasion pour dire un mot d’un autre merveilleux passeur, notamment entre le « domaine anglais » et le « domaine français », Valery Larbaud, qui a contribué à faire connaître nombre de ses contemporains, Joyce en particulier, notamment à travers ses deux ouvrages joliment intitulés Ce vice impuni, la lecture.


Le totalitarisme fut l’un de ses thèmes de prédilection, lui qui l’avait intimement connu dans sa jeunesse puisque, né dans la Bulgarie communiste en 1939, il fuira ce régime à vingt-quatre ans pour se réfugier en France, pays dont il obtiendra la nationalité dix ans plus tard. Toute sa vie professionnelle se déroula au CNRS. Initialement très spécialisé en théorie de la littérature, domaine dans lequel il acquit une grande renommée internationale, il étendra ensuite le champ de ses intérêts à de très nombreux sujets, comme l’humanisme (Le Jardin imparfait : la pensée humaniste en France, paru chez Grasset en 1998 ; titre emprunté à une citation de Montaigne), la démocratie (La Signature humaine : essais 1983-2008, Le Seuil, 2009), la peinture (Éloge du quotidien : essai sur la peinture hollandaise du XVIIe siècle, Adam Biro, 1993. L'Art ou la Vie ! : Le cas Rembrandt, Adam Biro, 2008. Le Triomphe de l'artiste. La révolution et les artistes. Russie : 1917-1941, Flammarion, parution posthume en 2017).

Ses écrits sur le totalitarisme ont été réunis dans la collection Bouquins sous le titre explicite Le siècle des totalitarismes. Ce recueil comprend les essais suivants : Face à l’extrême (1991), Une tragédie française (1994), L’Homme dépaysé (1996), Mémoire du mal, tentation du bien (2000). Avant de mourir, Todorov reviendra sur cette thématique fondatrice du Bien et du Mal dans un livre d’entretiens avec Boris Cyrulnik, La tentation du Bien est beaucoup plus dangereuse que celle du Mal, éditions de l'Aube, 2017.


Comme je l’ai annoncé plus haut, celui qui a le mieux parlé de Tzvetan Todorov c’est son ami André Comte-Sponville, dans un hommage public prononcé après la mort de son ami, qu’il a inclus dans son dernier livre, paru en 2019 : Contre la peur et cent autres propos. Je ne résiste pas au plaisir de citer quelques extraits de ce propos sobrement intitulé « Tzvetan ». « Nous avons perdu le meilleur de nos amis. Au-delà de l’affection que nous lui portions, nous sommes plusieurs, dans cette salle, à avoir senti que Tzvetan jouissait parmi nous d’une espèce de statut spécial, de rayonnement propre, qui ne tenait pas seulement à son intelligence, à son talent, à son invraisemblable culture, mais à une espèce de supériorité morale ou humaine, à une sorte d’excellence singulière, qui touchait moins sa manière d’habiter le monde et la société des humains, qu’à sa façon si rare d’exister et d’être lui. Quel individu exceptionnel et quel ami merveilleux nous venons de perdre ! »  Il poursuit son éloge par la phrase suivante : « J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire : Tzvetan Todorov n’était pas seulement l’homme le plus cultivé qu’il me fut donné de fréquenter ; il était aussi le plus authentiquement humaniste, et celui qui m’a le mieux aidé à comprendre que cette conjonction, entre culture et humanisme, n’était pas contingente. »

Pour tous ceux, comme moi, qui n’ont pas eu la chance de connaître Tzvetan, il reste la possibilité de lire Todorov, ce merveilleux essayiste, que je ne me lasse pas de lire et de relire. Comme le souligne Comte-Sponville : « Je ne connais pas de contemporain à qui le mot de Térence s’appliquât mieux qu’à lui : rien de ce qui est humain ne lui était étranger ». Comment dire mieux ?


Dr C. Thomsen, octobre 2019

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