Je poursuis et termine cette plus que brève histoire de l’hôpital public, d’après l’excellent et très amusant livre du Pr Jean-Noël Fabiani, C’est l’Hôpital qui se moque de la Charité.
Épisode 2
L’hôpital sans médecins
On le sait peu, mais la France possède la première faculté de médecine au monde, de par son antériorité, celle de Montpellier. Mais si les facultés de médecine formaient des médecins, dont l’essentiel du savoir se limitait à parler le latin pour pouvoir débattre entre eux dans cette langue pas encore morte, mais incomprise de la plupart de leurs patients, ces médecins ne fréquentaient pratiquement pas l’hôpital, chasse gardée des religieux. Les médecins exerçaient essentiellement « en ville », et soignaient une clientèle plus huppée, comme on le voit dans la célèbre pièce de Molière, Le malade imaginaire, qui tourne en ridicule les docteurs Diafoirus père et fils.
La Révolution, très anticléricale, chassa des hôpitaux la plupart des religieuses qui faisaient office d’infirmières. Donc, peu de médecins, et plus du tout d’infirmières. Mais beaucoup de malades, qui n’étaient pas encore des patients, abandonnés à leur triste sort.
L’hôpital et la Révolution
L’hôpital n’allait pas bien sous la Révolution. Les révolutionnaires pensaient que la Révolution en finirait avec la misère, et donc avec son corollaire, la maladie. L’opulence empêchait-elle jusque-là ceux qui en bénéficiaient de tomber malades ? C’était, bien avant l’heure de la Révolution russe d’octobre 1917, les fameux « lendemains qui chantent ». On a vite déchanté par la suite…
La loi du 16 vendémiaire an V (7 octobre 1796) débarrassa l’Etat du souci des hôpitaux en confiant leur gestion aux villes, qui avaient l’obligation d’en assurer le fonctionnement. Cette disposition est toujours plus ou moins d’actualité, puisque les maires jouent encore un rôle essentiel dans la gestion des hôpitaux publics, souvent pour éviter à tout prix la fermeture d’un service d’hospitalisation (on pense aux nombreuses fermetures de petites maternités, toujours combattues par les édiles, même si elles sont justifiées par des raisons de sécurité).
De la charité à l’assistance publique
Le rôle des hôpitaux changea du tout au tout à cette époque, en substituant la notion d’assistance à celle de charité ; comme cette assistance était gérée par la puissance publique, il s’agissait d’une assistance publique. L’expression est restée.
On sait que de nos jours les hôpitaux de Paris sont gérés par l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, l’AP-HP, créée par la loi du 10 janvier 1849 ; ceux de Marseille le sont par l’AP-HM. En revanche, contrairement à ce que laissent croire les expression « enfant de l’assistance » ou « enfant de la DASS », pour désignés les orphelins, ce ne sont pas ces organismes qui gèrent les problèmes sociaux de l’enfance, mais les services départementaux de l’Aide sociale à l’enfance (ASE).
Création de l’internat par Bonaparte. Création du clinicat
On l’a dit, il y avait peu de médecins dans les hôpitaux, et à partir de midi et surtout la nuit il n’y en avait plus du tout. Pour pallier cette carence, Bonaparte, alors Premier Consul, eu l’idée géniale de créer l’externat et l’internat des hôpitaux, par un décret consulaire du 4 ventôse an X (22 février 1802).
Il s’agissait de recruter, grâce à un concours organisé par l’administration hospitalière et non pas par la faculté de médecine, les meilleurs étudiants pour qu’ils apprennent à soigner les malades, qui avaient enfin trouvé leur place dans les lits des hôpitaux. De plus, comme l’indique le nom de leur fonction, les internes vivaient à l’hôpital, ce qui assurait enfin une présence médicale jour et nuit.
Ces concours hospitaliers allaient devenir le moteur de l’excellence de la médecine française, qui ne deviendra réellement efficace que grâce aux découvertes médicales du XIXème siècle.
En 1823 fut créée la fonction universitaire de chef de clinique, pour assurer la formation des internes et des étudiants non internes, les stagiaires. Cette fonction existe toujours, apparemment plus pour longtemps hélas…
Un propos de ce blog est consacré à l’histoire de l’internat des hôpitaux.
Épisode 3
Nous sommes arrivés au mitan du XXème siècle, et le visage de l’hôpital public français va changer radicalement, plutôt en bien, avec la réforme Debré.
Le temps plein hospitalier et la réforme Debré
Robert Debré fut un très grand médecin, le créateur de la pédiatrie française. Il fut aussi le père de Michel Debré, le premier à occuper le poste de Premier ministre du général de Gaulle. Ce fils allait beaucoup l’aider à faire aboutir la réforme hospitalière qu’il avait en tête. En effet, au sortir de la guerre, la situation des hôpitaux français était plus que préoccupante. Une des causes du problème était, selon Robert Debré, la séparation totale entre l’hôpital et la faculté, avec deux hiérarchies qui s’opposaient.
Le rêve de Robert Debré était la fusion de ces deux mondes, sur le modèle américain de l’enseignement au lit du malade effectué par des praticiens à temps plein, qui assureraient trois missions : le soin, l’enseignement et la recherche.
Le problème était que, jusqu’alors, les médecins hospitaliers ne passaient que la matinée à l’hôpital, et le reste de leur temps à s’occuper de leur clientèle privée, à laquelle ils tenaient évidemment. En conséquence, pour inciter les médecins hospitaliers à accepter le temps plein, il fallait leur offrir la possibilité d’avoir un secteur privé à l’hôpital, ce qui est toujours le cas, et ce qui continue de faire polémique. Et l’on ne sera pas étonné d’apprendre que les plus gros dépassements d’honoraires sont pratiqués dans le cadre du secteur privé des médecins de CHU, par des praticiens universitaires qui monnaient ainsi leur notoriété, réelle ou supposée.
La création des CHU dans les années 60 – 70
La réforme Debré a abouti à la création des centres hospitalo-universitaires, les CHU. Les praticiens qui y travaillent à temps plein exercent donc sur le même site leur activité hospitalière et leurs fonctions d’enseignement et de recherche à la faculté.
Vingt-neuf CHU ont ainsi été créés dans toute la France, dont plusieurs à Paris, Saint Antoine le premier, en 1965. Également en région parisienne, et par ordre chronologique, Ambroise-Paré à Boulogne (1969), Henri-Mondor à Créteil (1971), Louis-Mourier à Colombes (1971), Antoine-Béclère à Clamart (1971), Jean-Verdier à Bondy (1975). Ces hôpitaux traitant les pathologies aiguës en médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) furent doublés par des hôpitaux de chroniques et de rééducation, les actuels SSR. Pendant longtemps on a parlé d’hôpitaux de court, de moyen et de long séjour.
A titre d’exemple, la partie est de la région parisienne est couverte par le CHU Henri Mondor, dans lequel j’ai été formé à la chirurgie au début des années 80.
De l’hôpital pavillonnaire à l’hôpital actuel
La forme architecturale des hôpitaux a suivi l'évolution de la médecine.
1) Lister et Pasteur
En matière de lutte contre les infections, deux noms brillent au firmament de la médecine : le chirurgien écossais Joseph Lister, promoteur de l’antisepsie, et notre gloire nationale Louis Pasteur, qui est à l’origine de l’asepsie. Comme il n’était pas médecin, il eut beaucoup de mal à faire adopter ses idées révolutionnaires par l’institution médicale. Fichu esprit de caste ! En est-on complètement débarrassé de nos jours ?...
2) Construction de nouveaux hôpitaux de type pavillonnaire
Pour mettre en pratique les géniales conceptions de Pasteur, il fallut construire de nouveaux hôpitaux, avec des blocs opératoires modernes équipés d’autoclaves permettant la stérilisation par la chaleur. Et pour limiter la contagion, à une époque où les antibiotiques n’existaient pas, on construisit des hôpitaux pavillonnaires, comme l’étaient, à Paris, les hôpitaux Boucicaut, Claude Bernard, Bichat, Broussais, la Pitié. Certains de ces hôpitaux ont disparu à l’heure actuelle.
3) L’hôpital actuel : de Beaujon (1935) à l’Hôpital Européen Georges Pompidou (2000)
Mais actuellement ce type d’hôpital n’a plus de raison d’être, et l’on construit des hôpitaux constitués d’un seul bloc architectural. Le premier hôpital de ce type fut inauguré à Clichy, en proche banlieue parisienne, en 1935 : l’hôpital Beaujon, équipé de blocs opératoires révolutionnaires ; j’y ai fait un semestre de mon internat. On peut citer également l’hôpital de Bourran à Rodez (j’y ai travaillé), et aussi le très bel hôpital de Paray le Monial, dans lequel j’exerce actuellement, ou encore l’hôpital européen Georges Pompidou (HEGP) de Paris, le dernier hôpital construit dans la capitale, qui a ouvert ses portes en 2000.
« Que viennent faire les médecins dans la conception d’un hôpital ? »
Pour terminer ce rapide historique de l’hôpital public en France, j’aimerais citer une anecdote amusante mais navrante que le Pr Fabiani rapporte dans son livre : une réunion avait été organisée pour valider les plans du futur service de chirurgie cardiaque de l’hôpital Georges Pompidou, à laquelle il avait été convié avec son patron, le Pr Carpentier. La discussion s’était envenimée avec l’administratrice, qui finit par mettre fin à la séance avec cette phrase définitive : « depuis quand demande-t-on l’avis des médecins pour construire un hôpital ? ».
On ne peut s’empêcher de rappeler à ce propos que les débuts de ce fleuron de l’AP-HP furent entachés par une épidémie de légionellose (la fameuse maladie des légionnaires) provoquée par une mauvaise conception de sa climatisation. Peut-être les concepteurs de l’HEGP s’étaient-ils également passés du concours d’un médecin hygiéniste ? C’est probable…
Dr C. Thomsen, mars 2020
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