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Le patient de la chambre 21 (13)

Dernière mise à jour : 14 mai 2020

Chapitre 14 : je suis en rémission

Ça y est, ma chimiothérapie est enfin terminée ; mes marqueurs tumoraux* se sont normalisés ; l’imagerie ne détecte aucune tumeur résiduelle : je suis « en rémission* ». Seuls persistent quelques effets désagréables de ma neuropathie iatrogène*, mais il paraît que cela va s’arranger progressivement. J’en accepte l’augure.


Les médecins m’ont bien expliqué ce que rémission veut dire : il n’y a plus de tumeur détectable dans mon organisme, mais je ne suis pas guéri pour autant, car il pourrait y avoir dans mon sang ou dans ma lymphe des cellules tumorales indétectables. Pour parler de guérison, il faudra que cinq années se passent à partir de maintenant, cinq longues années sans récidive ni métastase.

Il s’agira d’une guérison « statistique », dans la mesure où l’on considère qu’il est rare qu’un de ces deux évènements défavorables surviennent passé ce délai. Si l’on veut pouvoir faire des statistiques qui comparent l’efficacité de différents protocoles de traitement du cancer, il faut bien choisir arbitrairement une date de guérison qui s’impose à tout le monde. Cinq ans est un bon délai, dans la mesure où la plupart des récidives et des métastases se développent pendant les deux premières années. Mais on aurait tout aussi bien pu choisir dix ans, tout en sachant que certains types de cancer, comme celui du sein, peuvent présenter des reprises évolutives* très tardives, parfois trente ans après le diagnostic initial.

Ne serait-il pas moins brutal de dire à un patient en rémission qu’il est              « provisoirement guéri », et que l’on va s’assurer, par la surveillance*, que cette guérison est pérenne ? Le mot rémission m’évoque irrésistiblement le fameux « mieux avant la fin ». Je serai en permanence menacé par la fameuse épée de Damoclès pendant toute cette fichue rémission. Mais je chipote : je suis très heureux d’être en rémission (à propos, il n’y a pas d’adjectif pour qualifier cet état ; pour la guérison, on dispose heureusement du participe adjectivé « guéri »).

Donc, pour vérifier que cette fameuse rémission se poursuivra au fil du temps, je serai suivi* régulièrement, tous les trois mois au début, puis tous les six mois, avant de passer à une surveillance annuelle au bout de cinq ans. Mais si on continue la surveillance au-delà de cinq ans, c’est bien que la guérison n’est pas sûre à 100%. Il est évident qu’on ne passe pas, du jour au lendemain, de la maladie à la guérison définitive sous prétexte que cinq années ont passé.

On m’établit un programme de surveillance, avec des consultations régulières et des examens d’imagerie (échographies et scanners) et de laboratoire (les fameux marqueurs tumoraux). Pour les marqueurs, on m’a bien expliqué leur rôle dans la surveillance. Ils n’ont d’intérêt que si leur taux était élevé au moment du diagnostic, ce qui indique une corrélation entre présence de tissu tumoral et taux du marqueur. Il arrive qu’ils soient normaux quand la tumeur est détectée, ce qui montre bien qu’ils n’ont pas d’intérêt diagnostique, d’autant qu’ils peuvent aussi être élevés en l’absence de tumeur, notamment chez les fumeurs (faux positif*). Dans mon cas, les marqueurs étaient élevés au moment où l’on a diagnostiqué le cancer. Lorsque le tissu tumoral a été éradiqué par la chirurgie, les marqueurs doivent retrouver une valeur normale, ce qui s’est effectivement passé pour moi. Si l’on assiste à une ascension secondaire des marqueurs, il y a suspicion de récidive ou de métastase, et des examens complémentaires sont nécessaires pour identifier la cause de cette élévation. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Pourvu que ça dure…


Chacun aura son rôle dans cette surveillance : l’oncologue, le chirurgien et le médecin traitant. Est-il bien nécessaire d’impliquer autant d’acteurs ? J’espère qu’ils auront tous le même discours, sinon je risquerais de m’inquiéter de cette discordance.

Quand tout sera fini, on m’enlèvera ma chambre implantable. Et pourquoi pas tout de suite ? L’oncologue me refroidit un peu en me disant qu’on n’est jamais sûr qu’il ne faille pas refaire un jour de la chimio ; ce serait bête d’avoir à en reposer une. Il pense qu’il vaut mieux attendre deux ans, tout en reconnaissant que ce délai est parfaitement arbitraire. Dommage, je me serai peut-être senti mieux dans ma tête sans cette fichue chambre implantable, qui, à vrai dire, ne me gêne pas physiquement, mais uniquement psychologiquement, en me rappelant que je ne suis pas encore guéri, mais seulement en rémission.


Au fait, je me souviens avoir pensé que j’essaierai de comparer les prestations du « public » et du « privé ». Cette comparaison est en fait impossible, puisqu’il ne s’agit pas du tout des mêmes soins. Cependant, je dois dire que j’ai vraiment apprécié les deux modes de fonctionnement, tout aussi professionnels l’un que l’autre. Tout au plus dirais-je qu’il y a plus de personnalisation dans le privé. Je pense que si j’avais fait ma chimiothérapie dans le privé, j’aurais vu tout le temps le même oncologue. Mais c’est une remarque vraiment mineure, d’autant que je n’en suis même pas certain.

*

Et puis, la vie a repris son cours. J’aurais été absent du lycée presque toute une année scolaire, entre l’intervention et la chimio. J’ai retrouvé mes élèves et mes collègues avec un plaisir non dissimulé, et j’ai été très touché de l’accueil qu’ils m’ont réservé. Bien que je n’aie pas informé le lycée des raisons de mon absence prolongée, elles ont vite fini par se savoir. L’important c’est que la « fuite » ne vienne pas de quelqu’un d’astreint au secret médical*. Je suppose que c’est Marie qui a dû faire des confidences à l’un(e) de nos collègues, et l’information se sera répandue. A propos de fuite, une petite remarque de prof en passant (on ne se refait pas !) : on emploie le verbe « fuiter » quand il s’agit de fuites dans les médias, alors que, comme chacun ne le sait pas, le verbe associé à la fuite, c’est fuir (une sonde fuit, mais ne « fuite » pas, comme j’ai souvent entendu des infirmières le dire).


Les symptômes de neuropathie se sont estompés ; en tout cas, ils ne me gênent plus vraiment. J’ai retrouvé l’appétit et repris les kilos perdus. J’ai retrouvé aussi mon parcours de golf habituel avec un immense plaisir, mais pas mon niveau de jeu antérieur, pour lequel il va falloir que je travaille. Bref, dans ma tête, je suis guéri. Cependant, la maladie a changé quelque chose en moi. Avant elle, j’étais plutôt insouciant, et ne me préoccupais pas vraiment de l’avenir ; je ne pensais jamais à la mort. Je vivais toujours dans l’instant présent, persuadé que c’était là le secret du bonheur ; et je le pense toujours. Mais maintenant, même si je viens de vous dire que je me sens guéri, la mort, du moins sa perspective, m’est devenue familière, et s’invite parfois dans mes pensées. Souvent, en fait…


Et puis, il faut que je vous annonce une grande nouvelle : un petit-fils est arrivé dans notre famille, chez notre fils aîné. Il s’appelle Benjamin, et c’est une merveille. Cette nouvelle vie m’empêche de penser à ma mort.

*

Pendant cette période d’accalmie, j’ai mis de l’ordre dans les notes que j’ai prises tout au long des différentes étapes de ma maladie. J’ai étudié la terminologie médicale, afin de rendre le récit de ma maladie « médicalement informé », avec le moins possible d’inexactitudes dans le choix des termes. Je n’ai eu aucun mal à m’apercevoir que les médecins usent d’un vocabulaire très technique, comme celui de la philosophie peut l’être. Quand deux médecins parlent de médecine entre eux, il est évident qu’ils se comprennent parfaitement, tout comme les philosophes dans la même situation, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient d’accord, loin s’en faut (cette remarque s’applique peut-être plus aux seconds qu’aux premiers). Mais, de même que les philosophes doivent adapter leur discours à leur auditoire, s’ils veulent avoir une chance d’être compris (il semblerait que tous ne le veuillent pas !), les médecins doivent savoir se faire comprendre de leurs patients, tout en ne simplifiant pas trop. Leurs explications doivent être claires, précises, sincères, honnêtes, ni plus ni moins. C’est un exercice difficile à réussir, et certains médecins n’y arrivent pas tout-à-fait ; d’autres jamais ; mais je n’en ai pas rencontré de cette espèce.


J’ai le projet de continuer ce « journal » de ma maladie jusqu’à la fatidique cinquième année, en notant les éléments de la surveillance. Après quoi, si mes amis trouvent mon travail intéressant, j’essaierai de le publier. Mais nous n’en sommes pas encore là. Un peu de patience, je vous prie…



Notes

  • Faux positif/Faux négatif : il s’agit de termes du vocabulaire des statistiques médicales. Un faux positif est un résultat positif alors qu’on aurait attendu un résultat négatif ; l’inverse pour le faux négatif.

  • Iatrogène/Iatrogénique : induit par un traitement. Les deux adjectifs s’emploient indifféremment.

  • Marqueur tumoral : molécule présente normalement dans le sang à un taux très bas, lequel s’élève en cas de cancer. Certains marqueurs sont spécifiques d’un cancer donné, d’autres peuvent être corrélés à plusieurs cancers. En cancérologie digestive, le plus utilisé est l’ACE, antigène carcino-embryonnaire.

  • Rémission : période dépourvue d’évènement lié au cancer, qui commence avec la fin du traitement et qui se termine au bout de cinq ans. On peut alors parler de guérison.

  • Reprise évolutive : reprise du processus cancéreux, sous forme de récidive, de métastases ou des deux à la fois.

  • Secret médical : secret professionnel spécifique à la profession médicale. Toutes les personnes qui travaillent en établissement de soins ou dans un cabinet médical, et qui ont connaissance d’informations médicales, notamment les secrétaires et les soignants, y sont tenues.

  • Surveillance/Suivi : on parle de surveillance ou de suivi. Un patient traité pour un cancer, quel qu’il soit, doit être suivi au moins pendant cinq ans.

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