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Le patient de la chambre 21 (6)

Dernière mise à jour : 9 févr. 2020

Chapitre 7 : l’annonce* du diagnostic


Jusqu’à présent, j’ai accepté sans bargouiner que l’on s’exprime à ma place, en parlant de Claude L. ou encore du patient. Cet individu dont on vous raconte le parcours médical depuis un bon moment, ce pourrait être n’importe qui, vous compris. Mais maintenant, c’est de moi qu’il s’agit vraiment. C’est mon histoire, et c’est moi qui vais vous la raconter, à travers les notes que je commence à prendre au fur et à mesure des étapes de mon parcours de patient, sans trop savoir ce que je ferai de ce journal de ma maladie. Probablement rien… On verra bien…


*

Voici comment j’ai reçu l’annonce du cancer du côlon dont je suis atteint.

La secrétaire du gastro vient de m’appeler. Le docteur B. a reçu les résultats, et il veut me voir pour en discuter, comme prévu. Non, elle ne peut rien me dire par téléphone. Je comprends, c’est normal, ce n’est pas son rôle. J’ai rendez-vous demain en fin de journée, et je sens que je ne vais pas vivre jusque-là. Putain, que cette attente est angoissante…

Ça y est, je suis dans son cabinet. J’ai dû attendre un peu, car il me voit en plus des patients déjà inscrits à sa consultation. Il a l’air vaguement embarrassé de quelqu’un qui ne sait pas trop comment annoncer une mauvaise nouvelle. Après quelques périphrases faussement rassurantes, il finit par me dire qu’il y a de cellules cancéreuses dans mon polype, bref que j’ai un polype cancéreux*, et plus exactement un adénocarcinome* du sigmoïde. Je n’arrive pas à y croire : il doit y avoir une erreur. Et pourtant, il a le résultat histologique sous les yeux.


*

Et le gastro, comment a-t-il fait pour annoncer cette mauvaise nouvelle ? C’est un exercice que tous les médecins redoutent. Il faut à la fois être certain que le message soit compris, et, en même temps, il faut éviter tout discours brutal. Pas facile…

Jacques B. a Claude L. dans son cabinet, pour lui annoncer son résultat. Bon sang, qu’il n’aime pas cet exercice ! Il ne sait jamais comment s’y prendre. Comme il lui avait dit, après la coloscopie, qu’il avait un gros polype non résécable par endoscopie, il lui explique maintenant que son polype contient des cellules cancéreuses, en d’autres termes qu’il s’agit d’un polype cancéreux. Il précise même qu’il s’agit d’un adénocarcinome. Jacques B. ne donne pas toujours un diagnostic histologique aussi précis, car il pense que la plupart des patients ne sont pas à même de comprendre des termes aussi techniques. Mais Claude L. fait partie des patients avec qui l’on peut employer des termes un peu complexes. Personnellement, il a beaucoup de mal à dire à un patient « vous avez un cancer ». Il adoucit habituellement la mauvaise nouvelle en parlant de « polype cancéreux », mais au fond, est-ce qu’ils comprennent bien qu’ils ont un cancer ? Il a tendance à penser que oui, mais, en réalité, il n’en est pas sûr du tout. Il se dit, non sans hypocrisie, qu’ils finiront bien par le comprendre de toute façon, à moins d’être dans le déni*, comme cela arrive parfois, et même souvent, lui semble-t-il.


-Dîtes-moi, Docteur, ce n’est pas franchement une très bonne nouvelle que vous m’annoncez là ! Qu’est-ce que je dois faire ?

-Il va falloir vous opérer, pour vous enlever cette tumeur. C’est une opération courante, qui se fait actuellement par cœlioscopie*.

-Qu’est-ce que cela veut dire ?

-Que vous n’aurez que de petites cicatrices. Mais le chirurgien vous expliquera tout ça mieux que je ne pourrais le faire.

-Et qui va me faire cette intervention ?

-Personnellement, j’adresse mes patients à opérer au Dr Brice G., qui travaille à la clinique où je vous ai fait la coloscopie. Mais, en réalité, c’est à votre médecin traitant de choisir le correspondant auquel il souhaitera vous adresser. Mais si ça se trouve, ce sera le même que celui que je vous indique. C’est un bon spécialiste de la chirurgie colique. J’ai toute confiance en lui.

-Est-ce qu’il y a quelque chose à faire avant ?

-Oui, un certain nombre d’examens d’imagerie* ; c’est indispensable pour savoir comment on va vous traiter. Ma secrétaire va vous donner les numéros de téléphone pour que vous puissiez prendre les rendez-vous. Et puis, il faut que vous retourniez voir votre médecin traitant, pour qu’il fasse le nécessaire pour l’ALD.

-ALD ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

-Pardon ! Les médecins ont tellement l’habitude d’utiliser des sigles et des acronymes* obscurs. ALD, ça veut dire affection de longue durée. Tous les frais inhérents au traitement de votre maladie seront pris en charge à 100%, sans ticket modérateur*. Attention, cela ne concerne malheureusement pas les dépassements d’honoraires*.


*

Moi qui ne suis jamais malade, j’appartiens désormais à la catégorie peu enviable des patients atteints d’une maladie chronique*. Bienvenue au club ! Il va falloir que je m’y fasse, mais je n’arrive toujours pas à y croire. Serai-je dans le déni ? Je suis tellement abasourdi que j’oublie de lui poser des questions essentielles, comme le pronostic* de cette saloperie. Tant pis, je regarderai sur Internet.


*

Rentré à la maison, je me précipite sur Internet pour y chercher fébrilement des informations. Je commence par le plus simple, l’anatomie, que je connais mal, certainement comme la plupart de mes contemporains. Qu’est-ce que ça peut bien être que le sigmoïde ? Je lis que c’est la partie terminale du côlon, située avant le rectum. C’est un début. Je cherche maintenant ce qu’est un polype cancéreux, mais je ne trouve rien ; ce n’est probablement pas une terminologie* médicale, mais une expression pour ces imbéciles de néophytes. Je tape adénocarcinome colique, et les réponses sont tellement nombreuses que je ne sais pas sur quel site cliquer. Comment savoir en effet quels sont les sites sérieux ? Je sélectionne ceux des sociétés savantes ; comme ça, j’aurai des réponses fiables. J’apprends donc que l’adénocarcinome du sigmoïde est la localisation au sigmoïde du cancer colorectal. Merde, pourquoi cet enfoiré de gastro ne m’a pas dit qu’il s’agissait d’un cancer ? Il m’a parlé, si je me souviens bien, d’un polype cancéreux, mais je m’étais focalisé sur le polype. En fait, je suis un peu de mauvaise foi, car en employant l’adjectif cancéreux, il a quand même parlé de cancer. Mais cela aurait probablement été plus clair d’apprendre de sa bouche que j’avais un cancer du côlon. Mais étais-je prêt à l’entendre ? Pas sûr.

Donc, j’ai un cancer, « ce mal mystérieux dont on cache le nom » comme le chantait Brassens, pour dire que, contrairement à la rumeur, il ne l’avait pas (alors qu’en réalité, il en est mort). Les gens disent volontiers « j’ai le crabe ». Je déteste cette expression populaire ; et pourtant, elle colle bien à la réalité puisque « crabe » est la traduction du mot latin « cancer », comme je l’apprends sur Internet ! C’est même incroyable que l’analogie d’aspect entre une tumeur du sein et un crabe ait été faite par le plus célèbre des médecins de l’Antiquité grecque, Hippocrate (460 – 377 av J.C.), celui-là même du fameux serment que prêtent les jeunes médecins à l’obtention de leur thèse !

Je regarde ce que le site dit du pronostic. J’apprends que le cancer colorectal est le plus fréquent de tous, qu’il est le plus souvent développé à partir de polypes, lesquels sont généralement héréditaires*, et que son pronostic est relativement favorable, puisque les chances de guérison*, tous stades* confondus, sont supérieures à 50%. Mais à quel stade en suis-je ? Comment connaît-on le stade ? Il faudra que je pose la question.

Si je fais abstraction du stade, que je ne connais pas encore, j’ai un plus d’une chance sur deux de guérir (version optimiste du verre à moitié plein), et un peu moins d’un risque sur deux d’en mourir (version pessimiste du même verre, cette fois-ci à moitié vide). Vivement que je connaisse mon stade, et que j’apprenne qu’il est favorable, pour passer d’une chance sur deux à deux sur trois.

Je jette un coup d’œil sur un forum de patients. Quelle pitié, tous ces gens qui veulent faire partager leur expérience, comme si elle était transposable aux autres. On dirait de la téléréalité (là encore, je suis de mauvaise foi, car je ne regarde jamais aucune émission de téléréalité, mais j’imagine bien quelle nullité ce doit être !). C’est juré, je n’irai plus sur les forums, d’autant que je déteste le langage approximatif et les fautes d’orthographe de la plupart des internautes. Je songe aussi aux témoignages recueillis par les journalistes de télévision après une catastrophe : ils ne nous apprennent rien sur l’évènement ; en revanche, on sait tout des émotions du témoin. Aucun intérêt. C’est la société du spectacle, et je ne m’y fais pas vraiment. J’ai un peu de mal à être dans l’air du temps, bien que je sois loin d’être un vieillard ! Pour paraphraser Musset, j’ai envie de dire que « je suis né il y a trop longtemps dans un monde trop jeune » (Musset avait écrit « trop tard » et « trop vieux »).

*

Un des avantages souvent souligné de la profession d’enseignant, ce sont les vacances. Certains n’hésitent pas à dire que les enseignants sont toujours en vacances. Laissons dire. En fait, si je parle de vacances c’est précisément parce que, cette semaine je suis en vacances. Je vais donc pouvoir m’atteler à la prise des rendez-vous pour ce que l’on appelle le bilan d’extension* (j’ai lu sur Internet ce que ça veut dire. C’est un peu glaçant comme expression). Malade chronique, c’est presque un job à plein temps ! J’essaie de faire un peu d’humour, mais en fait je suis la plupart du temps de mauvaise humeur depuis que je sais que j’ai un cancer. Je peste contre le délai que l’on me donne pour le scanner corps entier*, qui me paraît trop long. Je me suis mis dans la tête que tout était devenu urgent. Mon médecin m’a dit, pour me rassurer, que le cancer, « ça ne pousse pas comme les champignons après la pluie ». Soit. Est-ce la peur qui génère toute cette colère que je sens en moi ? Il faudrait que j’arrive à être un peu plus serein. Facile à dire…

Je parle avec Marie de tout ce qui m’arrive. Jusqu’à présent, j’étais allé seul aux différents rendez-vous. Mais il est temps qu’elle sache. Comme toujours elle est merveilleuse. Quelle chance j’ai de l’avoir à mes côtés. Cependant, je fais tout ce que je peux pour ne pas trop l’inquiéter, car je la sais assez fragile. Il ne faudrait pas qu’elle craque, si je veux qu’elle tolère ma mauvaise humeur et qu’elle m’aide dans les moments d’angoisse. Il faut aussi que nous en parlions aux enfants, car ma maladie augmente leur risque personnel d’avoir un jour un cancer colorectal. Il faudra qu’ils pensent à se faire faire une coloscopie, mais sans urgence ; ils sont encore jeunes. Ils vont être catastrophés d’apprendre ce qui m’arrive. Je leur dirai que ce n’est pas la fin du monde, et que cela arrive à beaucoup de gens. Je leur dirai également qu’il n’est pas nécessaire qu’ils se déplacent, tout en sachant qu’ils n’en feront rien, et qu’ils seront là pour me soutenir au moment de la chirurgie. Pour parler sincèrement, leur absence me décevrait.


*

Je téléphone à mon médecin traitant pour lui dire que j’ai fait les examens demandés par le gastro-entérologue, que les résultats sont apparemment rassurants, et qu’il faut que je voie rapidement un chirurgien. Je lui demande à qui il pense m’adresser. Il me confirme le choix du gastro. Ce sera donc le Dr G. Il prépare un courrier à son intention, que je pourrais récupérer demain.

Je téléphone au secrétariat du Dr G. J’ai de la chance, il y a un désistement vendredi prochain. Quelle barbe, il va falloir encore patienter quelques jours de plus. Mais ça aurait pu être pire.


Notes

  1. Acronyme : sigle qui se prononce de manière syllabique : SIDA est un acronyme, mais pas VIH, le virus qui en est responsable ; ALD non plus, mais beaucoup de gens, médecins compris, emploient le mot acronyme en pensant qu’il est synonyme de sigle.

  2. Adénocarcinome : variété histologique la plus fréquente de cancer. Carcinome est synonyme de cancer, et le préfixe « adéno » (glande) indique que l’origine de ce carcinome se situe dans les glandes de la muqueuse de l’organe.

  3. Annonce : les maladies graves et les « dommages associés aux soins » dont un patient a été victime doivent être annoncés de manière protocolaire. Pour le cancer, le diagnostic est annoncé par le médecin qui l’a posé. Ce diagnostic et tout ce qui en découle seront ensuite détaillés lors d’une consultation infirmière spécialisée, appelée « consultation d’annonce ».

  4. Bilan d’extension : ensemble des examens, essentiellement d’imagerie médicale, qui permettent de connaître le stade clinique d’un cancer avant d’entreprendre son traitement.

  5. Cancéreux : atteint du cancer quand il s’agit d’un patient ; qui est un cancer, quand on parle d’une lésion. Les patients confondent souvent cancéreux et cancérigène qui signifie susceptible de provoquer le cancer ; le tabac est cancérigène(ou cancérogène).

  6. Chronique : s’oppose à aigu. Une maladie peut être chronique d’emblée, comme le cancer, ou succéder à une maladie aiguë qui n’a pas guéri, comme l’hépatite virale. On parle alors de passage à la chronicité. Certaines maladies chroniques, comme le cancer, peuvent guérir, d’autres pas, comme le diabète.

  7. Cœlioscopie : Voie d’abord dite mini-invasive, permettant de réaliser des interventions abdominales avec de petits trous, dont l’un pour la caméra. Ce terme est à réserver à la chirurgie de la cavité péritonéale (la cavité cœliaque).

  8. Déni : le déni de réalité consiste à ne pas vouloir, de manière non consciente, admettre un diagnostic ou une situation. Le déni fait également partie des phases du deuil. Le plus spectaculaire des dénis est le déni de grossesse.

  9. Dépassement (complément) d’honoraires : les médecins exerçant dans le secteur dit à honoraires libres de la Convention médicale (secteur 2) sont autorisés à demander à leurs patients des honoraires en plus de ceux prévus et remboursés par l’Assurance maladie. Ils en fixent librement le montant, qui doit être connu à l’avance par le patient (affichage en salle d’attente).

  10. Héréditaire vs congénital : est héréditaire ce qui est transmis par les gènes. Est congénital ce qui existe à la naissance. Les maladies congénitales sont souvent héréditaires, mais pas nécessairement.

  11. Imagerie médicale : nom actuel de la radiologie. Mais les spécialistes d’imagerie médicale restent des radiologues.

  12. Pronostic : contrairement au diagnostic, le pronostic est une prévision (mais pas une prédiction) sur l’évolution d’une maladie ou d’un patient. On entend souvent l’expression consacrée « le pronostic vital est engagé », quand un patient est en danger de mort.

  13. Scanner corps entier : examen scannographique de l’ensemble du corps. S’oppose au scanner limité à l’étude d’une partie du corps, comme le scanner cérébral.

  14. Stade : pour le cancer, il peut s’agir d’un stade clinique (localisé, locorégional ou généralisé), ou d’un stade histologique (classification TNM). Le pronostic, et donc les modalités thérapeutiques, dépendent du stade de la maladie. Pour le cancer, le principal critère de pronostic est la présence d’un envahissement ganglionnaire (stade histologique).

  15. Terminologie : ensemble des termes techniques employés dans une discipline technique ou scientifique. La terminologie médicale est l’une des plus complexes. Les termes techniques médicaux sont destinés à être employés par les médecins pour les médecins, mais le commun des mortels y est confronté par nécessité.

  16. Ticket modérateur : part des honoraires médicaux ou du prix d’un médicament qui  reste à la charge du patient, ou de sa complémentaire santé s’il en a une. On parle également de « reste à charge ». Pour une consultation médicale, le ticket modérateur est de 30% du prix de la consultation. Il n’y a pas de ticket modérateur pour les actes techniques, comme l’endoscopie ou la chirurgie, pris en charge intégralement par l’Assurance maladie.

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