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Noël à l'hôpital (3)

Dernière mise à jour : 28 août 2020

Les internes de ce semestre d’hiver avaient choisi leur économe, Jean-Michel Molkhou, un jeune interne en chirurgie, en poste à la maternité (il était rare de pouvoir choisir un service de chirurgie en début d’internat). Ce choix s’avéra particulièrement judicieux, car celui qui allait devenir mon ami Jean-Michel, et dont j’ai fait la connaissance pendant ce semestre, avait pris son rôle très à cœur. Il souhaitait probablement laisser une trace de son passage dans cette fonction difficile, notamment en commandant à un étudiant des Beaux-arts une très belle fresque inspirée de la Cène de Léonard de Vinci. Il y figurait en Judas ! Jean-Michel avait une particularité qui aura une grande importance dans mon anecdote : il jouait du violon à un niveau qui lui aurait permis d’être musicien professionnel si son ambition n’avait pas été d’être chirurgien. Pour ma part, j’étais un fervent mélomane, mais pas un musicien pratiquant. Nous avions découvert notre goût commun pour la musique classique de manière amusante : il sifflotait une mélodie de Brahms, que j’avais reconnue immédiatement, suscitant son étonnement ravi. Nous étions tous deux mélomanes.

Sous son « royal économat », les améliorés avaient vraiment de l’allure, et la chère y était toujours excellente. Aussi, pour Noël, il avait voulu frapper un grand coup. Il s’était mis dans la tête que le réveillon de Noël en salle de garde devait rester un souvenir impérissable pour tous ceux qui étaient de garde cette nuit-là, et même pour ceux qui ne l’étaient pas, s’ils avaient envie de passer un moment inoubliable entre collègues.



Il avait annoncé le programme et le menu. Pour celui-ci, rien d’autre que le meilleur sur le marché. Il faut savoir qu’à cette époque le saumon fumé était encore un plat de luxe. Celui qui allait nous être servi en entrée, et qui fondait dans la bouche, venait de chez Pétrossian, la meilleure adresse parisienne pour le caviar (mais le caviar n’entrait pas dans son budget). Pour le programme, il avait prévu un concert privé de musique de chambre qu’il assurerait avec son partenaire pianiste habituel, non médecin (nobody’s perfect !). Entre chaque plat, les convives auraient droit à une sonate pour violon et piano de Mozart d’abord, une sonatine de Schubert ensuite. On était prié d’écouter la musique en silence, comme dans une vraie salle de concert. Pour rendre la soirée plus spéciale, tous les participants, y compris ceux qui étaient de garde, devaient être en tenue de soirée, robe longue pour les filles, smoking pour les garçons.

Tout le monde avait joué le jeu, et c’était magnifique à voir. Pour ma part, j’étais allé louer un smoking au Cor de chasse, près du Panthéon, adresse encore connue de tous les Parisiens en quête d’une tenue de cérémonie. J’étais de garde ce soir-là, et j’espérais ardemment que le téléphone de la salle de garde ne sonnerait pas, avec au bout du fil le service des Urgences réclamant l’interne de garde en chirurgie. L’économe avait accepté que les internes de garde puissent enfiler leur blouse blanche par-dessus leur tenue de soirée, s’ils étaient appelés pour aller voir un patient.


Dr C. Thomsen

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