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Noël à l’hôpital : fin de la nouvelle

Dernière mise à jour : 18 janv. 2020

Épisode 4


Amaury est un adolescent de 14 ans sans problème, même pas en rébellion contre ses parents. Ce sera peut-être pour plus tard. Il est particulièrement heureux ce 24 décembre, car il connaît déjà le cadeau que ses parents vont lui offrir pour Noël, et il en rêve depuis des mois. Plus que quelques heures à patienter avant le déballage des cadeaux entassés au pied du sapin.

Le matin, il s’est réveillé un peu barbouillé, nauséeux, pas vraiment en forme. Il a un peu mal au ventre, mais rien de bien méchant. Il en a parlé à ses parents, qui n’ont pas semblé inquiets. Son père lui a dit en rigolant que, s’il n’allait pas mieux d’ici le soir, il ne pourrait pas faire honneur au bon repas de réveillon que sa mère allait préparer. Et elle s’y entend question cuisine. Alors, qu’Amaury fasse un petit effort et prenne sur lui !

La journée se passe, et Amaury ne va pas vraiment mieux ; pas vraiment plus mal non plus, d’ailleurs. Ses parents n’envisagent pas d’appeler le médecin pour si peu. Et puis, soudain, un peu avant 22 heures, il est pris d’une violente douleur abdominale, à droite ; la douleur le plie en deux. Ses parents n’ont aucune notion médicale, mais ils se doutent que tout cela n’est pas normal. Ils ont été opérés tous les deux de l’appendicite dans l’enfance, et ils se disent que c’est peut-être ce qui est en train d’arriver à leur fils. Alors, tant pis pour le repas de fête et les cadeaux, et en route pour l’hôpital le plus proche, l’hôpital Rothschild. Ils appellent un taxi, qui ne tarde pas à arriver.


*

Pendant ce temps, le réveillon des internes se déroule comme prévu, sans aucune fausse note, ni au propre, ni au figuré. Tout le monde est parfaitement heureux. Une vraie réussite. Bravo Jean-Michel ! Le téléphone n’a sonné qu’une fois, pour l’interne en médecine qui a dû s’absenter quelques instants. Pourvu qu’il ne sonne pas pour moi ! À 23 heures, la sonnerie du téléphone retentit, stridente. Le convive assis le plus près du combiné décroche, et, quelques secondes plus tard, prononce la phrase que je redoutais d’entendre : « on demande l’interne de garde en chirurgie aux Urgences ».

Ceux d’entre vous qui se sont habitués, mais pas résignés, aux longues heures d’attente aux Urgences d’un hôpital seront probablement surpris d’apprendre que moins d’une heure après son arrivée à l’hôpital, Amaury allait être vu par l’interne de garde. C’était la règle à cette époque. Comme je l’ai déjà dit, on se passait d’échographie pour faire un diagnostic d’appendicite, d’autant que la règle était alors « dans le doute, ne pas s’abstenir ». La règle s’est inversée, et l’on n’opère plus que lorsque l’on est quasi certain qu’il s’agit bien d’une appendicite aiguë. Du coup, le nombre d’appendicectomies a considérablement chuté. Tout cela pour dire que les examens complémentaires ont quand même du bon ; il faut juste qu’ils ne dispensent pas d’examiner les patients, comme cela a tendance à devenir la règle pour les jeunes médecins.

J’examine donc Amaury, et la sanction tombe : contracture (« ventre de bois ») : c’est une péritonite. J’explique aux parents qu’il va falloir opérer leurs fils d’urgence. Un coup de fil à l’anesthésiste, un autre à mon chef de clinique, un troisième à l’équipe de garde au bloc opératoire, et le tour est joué.

Quand résonneront les douze coups de minuit, Amaury et moi serons au bloc opératoire, lui sous l’effet de l’anesthésie générale, allongé « sur le billard », et moi en train d’opérer sa péritonite appendiculaire, sous le regard attentif et bienveillant de mon chef de clinique.

Je vous avais prévenu, mon histoire n’a en soi rien d’extraordinaire, si ce n’est que ce réveillon de Noël à l’internat avait une sacrée allure. On savait vivre, à cette époque ! Et je m’aperçois que je n’échappe pas à la nostalgie qui me tend les bras depuis que j’ai entrepris de vous raconter un épisode de ma vie d’interne au début des années 80.


Toussaint : Paysage marin. Collection personnelle

Épisode 5


Vous vous demandez peut-être ce qu’est devenu Jean-Michel Molkhou, cet économe de salle de garde sortant à ce point de l’ordinaire ?

Comme prévu, il a fini son internat, puis a été chef de clinique. Après quoi, il s’est installé en libéral, tout en gardant un pied à l’hôpital Saint-Joseph. Il est donc venu grossir les rangs des chirurgiens digestifs travaillant en clinique en région parisienne. Rien que de très banal en somme : un bon chirurgien de plus sur la place de Paris. Nous ne nous sommes revus qu’à l’occasion de concerts.

Ce qui est beaucoup moins banal, c’est sa deuxième activité dans le domaine de la musique classique. En effet, Jean-Michel est quelqu’un qui fait autorité pour tout ce qui concerne le violon et le quatuor à cordes. Il a notamment écrit des livres sur les grands violonistes du passé. C’est un très grand collectionneur, et il possède probablement la plus belle collection qui soit de disques de musique écrite pour les cordes. Quand un spécialiste cherche une interprétation rare, il est vraisemblable qu’il la trouvera au domicile parisien de Jean-Michel.

C’est un critique musical très respecté, et c’est par ce biais que j’ai renoué le contact avec lui, puisque nous nous étions perdus de vie après ce semestre d’hiver mémorable. Je lis tous les mois le magazine Diapason, et c’est de cette manière que j’ai découvert ses critiques de disques consacrées à son sujet de prédilection. Je n’ai jamais lu de critiques aussi bien écrites ; il a su en faire un genre littéraire à part entière. J’avoue sans honte être jaloux de sa si belle plume.

Quand le grand luthier Étienne Vatelot est mort, c’est lui qui a rédigé sa nécrologie, bouleversante. Lorsque je l’ai contacté pour lui dire combien son hommage m’avait ému, il m’a fait une confidence : il avait une relation quasi filiale avec ce grand personnage ; les mots lui étaient venus sans aucun effort.

Voilà qui est mon ami Jean-Michel : un sacré personnage, tout simplement.

Mais Jean-Michel M. n’est pas le seul exemple d’un chirurgien pratiquant la musique à un haut niveau. Le grand chirurgien allemand (mais exerçant à Vienne) Theodor Billroth (1829 – 1894) est considéré comme un des pères fondateurs de la chirurgie digestive, et notamment le promoteur de la gastrectomie. Bref, un des plus grands noms dans ma spécialité. Mais il était également un pianiste de haut vol, grand ami de Brahms. C’est à ce titre qu’il donna la première exécution privée de la Première Sonate pour violoncelle et piano, Op 38, de Johannes Brahms. Cette anecdote permet d’imaginer quel pianiste amateur il était. Détail amusant, certaines photos que l’on connaît de lui mettent en évidence une grande ressemblance avec son ami Brahms ; tous deux portent la même barbe opulente ! La mienne est plus modeste…


Dr C.Thomsen, 1er janvier 2020

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