Ce récit raconte l’histoire d’un médecin victime d’un lynchage médiatique qui l’a obligé à changer de région et de mode d’exercice. Il ne s’agit pas d’une histoire vraie, mais d’un assemblage de trois situations véridiques : celle d’un médecin obligé d’accepter toutes les exigences de ses patients en raison d’un accident médical ; celle d’un médecin victime d’un lynchage médiatique à la suite du décès d’un patient ; et celle, malheureusement banale, d’un médecin victime d’un burn out, et qui meurt comme le personnage de Martin Winckler, le Dr Sachs (La maladie de Sachs).
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Cela faisait deux ans que le Dr Matthias Thérond s’était installé à S., petite ville du Cantal considérée depuis des lustres comme un désert médical. La municipalité avait mis le paquet pour recruter un médecin en mettant un local professionnel et un secrétariat à disposition de celui ou de celle qui relèverait le défi de prendre ce poste de généraliste de campagne. Un logement avait également été réservé pour l’heureux élu, en échange d’un loyer modique.
Jusque-là, seuls des médecins étrangers avaient tenté l’aventure, laquelle tournait court en général au bout d’un an, voire moins, par difficulté d’adaptation, soit du praticien à son environnement, soit de la patientèle à un médecin qui ne parlait pas suffisamment bien le français.
Et puis le Dr Matthias Thérond postula, et, bien entendu, cette candidature sembla trop belle pour être vraie. Personne ne comprenait pourquoi ce quadragénaire célibataire bien de chez nous (« un mec normal », comme aurait dit Coluche) avait fait ce choix de vie, et, comme il fallait bien lâcher quelques informations, Matthias distillait au compte-gouttes des confidences : son arrivée à S. était due à un chagrin d’amour. Il souhaitait oublier cet épisode de sa vie en se consacrant corps et âme à ses patients. Il n’en disait pas plus, au point que la question se posait à mots couverts : cet amour, était-ce pour une femme ou pour un homme ? Nul ne le savait, et Matthias s’amusait à entretenir le doute. Mais rigoureusement rien dans son comportement ne laissait penser qu’il aimait les hommes. D’un autre côté, aucune femme disponible ne semblait retenir son attention. Et pourtant, elles étaient nombreuses, célibataires ou pas, à penser pouvoir intéresser ce séduisant quadragénaire, mais toujours en vain. Alors, mystère…
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La population de la petite bourgade de S. vivait dans la crainte qu’un jour le Dr Thérond ne se remette de sa déception amoureuse et ne reparte travailler dans une plus grande ville. En attendant cette issue fâcheuse, les habitants croyaient vivre un rêve : Matthias était le médecin idéal, à la fois compétent et inspirant immédiatement confiance, cette confiance n’étant jamais trahie. Non seulement c’était un excellent praticien, avec une grande sûreté de diagnostic qui ne mit pas longtemps à être connue de tous, mais il avait aussi toutes les qualités humaines requises, en particulier une grande capacité d’empathie. Et puis surtout, il était d’une disponibilité absolue. On pouvait l’appeler à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, il répondait toujours présent. Dans ces conditions, pas étonnant qu’il n’ait pas de vie sentimentale. Ses patients l’accaparaient à temps plein.
Physiquement, Matthias était plutôt grand et mince. Ses cheveux bruns, parsemés de quelques filets d’argent, étaient coupés court, avec une raie discrète sur le côté. Son style vestimentaire était plutôt détendu, adapté à la vie rurale qui était devenue la sienne, mais ses tenues étaient de bonne facture, et ses chaussures manifestement de grande qualité ; c’est à ce dernier critère que l’on reconnaît l’élégance masculine ! Bref, un style chic mais décontracté. Les femmes le trouvaient plutôt joli garçon ; les hommes disaient plutôt de lui qu’il était beau mec. Matthias était séduisant, à n’en point douter.
Il était vite devenu la coqueluche de son village, les plus âgés l’appelant respectueusement « docteur », les plus jeunes préférant l’interpeller par son prénom. Tout le monde aimait Matthias. Cependant il refusait obstinément les très nombreuses invitations. Son explication était invariablement la suivante : s’il acceptait une invitation, il devrait les accepter toutes, et il n’en avait pas le temps. Mais il assurait que ce n’était pas l’envie qui lui manquait de répondre à une sollicitation qui lui était faite si gentiment. Même le maire ne réussit pas à l’avoir à sa table. Il aurait pourtant aimé que Matthias fasse partie de son équipe municipale. Pas le temps, répondait Matthias.
Dr C. Thomsen, septembre 2019
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