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Une bien curieuse patiente (2)

Huit jours plus tard, en arrivant à son cabinet de consultation, il découvre Mme R. assise en salle d’attente. Il est surpris et vaguement inquiet, d’autant que la secrétaire, auprès de qui elle n’a pas pris rendez-vous, lui signale qu’elle a beaucoup insisté pour le voir dans les meilleurs délais. Craignant quelque problème postopératoire, il la fait rentrer la première dans son cabinet, et lui demande ce qui l’amène à le revoir en consultation si rapidement après l’intervention.

-Rien de grave, Docteur, bien au contraire. Je suis très contente de vos services, et je voulais vous remettre un petit cadeau.

-C’est très gentil à vous, mais vous auriez dû le remettre à la secrétaire, qui me l’aurait donné. J’ai cru que vous aviez un problème grave, et du coup, je vous ai fait passer en priorité. On se revoit comme prévu dans trois semaines. Au revoir Madame.

-Au revoir Docteur, et acceptez mes excuses pour avoir quelque peu forcé le passage, sans aucun sous-entendu grivois…

-Excuses acceptées. Ce n’est pas grave, mais ne recommencez pas ; je serai moins indulgent s’il devait y avoir une autre fois.

Tout cela a pas mal agacé le Dr Tiercelin. Il a accepté le cadeau sans l’ouvrir, un peu surpris car il n’a pas vraiment l’habitude d’en recevoir de la part de ses patientes. Il l’ouvrira en rentrant chez lui.


Il est maintenant vingt heures trente, et il de retour chez lui. Sa femme, Marie, l’accueille chaleureusement, comme toujours. Le dîner sera bientôt prêt.

-Tiens, une de mes patientes que j’ai opérée la semaine dernière est venue m’apporter un cadeau. Je l’ai un peu engueulée, parce qu’elle s’est imposée en salle d’attente, mais c’est gentil quand même. Je l’ouvre devant toi.

-Dis-donc, elle ne s’est pas foutue de toi ; il est magnifique, ce portefeuille. Tu la remercieras bien quand tu la reverras. Mais attention qu’elle ne tombe pas amoureuse de toi !

-Tu charries, elle a soixante-dix ans ; je sais bien que tu dis toujours que je plais aux vieilles dames, mais elle a trente ans de plus que moi ; tu n’as rien à craindre, d’autant que tu sais pertinemment qu’il n’y a que toi dans ma vie. Je t’aime, et j’ai faim.

-Et bien, à table. Et je t’aime aussi.


Trois semaines ont passé, et c’est le moment de revoir Mme R. en consultation de contrôle.

-Bonjour Madame. Comment-allez-vous depuis cette intervention ?

-Parfaitement bien. Je revis. Je n’ai qu’un regret, c’est de ne pas l’avoir fait plus tôt.

Il entend souvent cette phrase. Beaucoup de ses patientes ont beau être convaincues qu’il faudrait qu’elles se fassent opérer, elles remettent à plus tard en raison de la peur de se faire opérer, et surtout de se faire endormir. Il se souvient même d’une patiente qui avait pris rendez-vous pour une hystérectomie (une ablation de l’utérus), et qui avait annulé trois fois au dernier moment. Mais, dans son cas, ce n’était pas la peur de l’opération, mais l’impossibilité de s’imaginer sans utérus. Elle craignait de perdre une partie de sa féminité si elle sacrifiait son utérus. Et elle avait beau savoir que son attitude était totalement irrationnelle, elle n’avait jamais pu surmonter cet obstacle psychologique.


La consultation se poursuit par l’examen de la patiente, installée en position gynécologique. Le chirurgien est satisfait du résultat anatomique, et la patiente du résultat fonctionnel. Bref, tout le monde est content.

-Au fait, je ne vous ai pas remercié pour votre cadeau. Il est magnifique, ce portefeuille. Vous n’auriez pas dû.

-Je suis contente qu’il vous ait plu. Si vous me le permettez, j’ai une question qui me brûle les lèvres ; il faut absolument que je vous la pose.

Il sourit, car il pense à une réplique de Valérie Lemercier lors d’une interview, parlant de chirurgie esthétique des lèvres, et précisant, imperturbable : « mes lèvres, celles du haut, bien sûr ». Il avait trouvé cette répartie vraiment très drôle.

-Allez-y, posez votre question. Je verrai si je peux y répondre.

-Alors, je me lance. J’aimerais savoir dans quelle position vous étiez par rapport à moi pendant mon opération.

-Elle est bizarre, votre question. C’est la première fois qu’on me la pose. La réponse est toute simple : j’étais un peu comme aujourd’hui, installé entre vos cuisses, qui étaient plus fléchies que maintenant. J’étais assis sur un tabouret à roulette, pour être à la bonne hauteur.

-Merci. C’est tout ce que je voulais savoir.

-Et bien, puisque vous n’avez pas d’autre question, on se quitte là-dessus. Nous n’aurons pas l’occasion de nous revoir, sauf en cas de problème ultérieur lié à votre opération. Votre bon résultat devrait durer longtemps, mais on ne sait jamais. Au revoir, Madame.

-Au revoir, Docteur, et encore merci pour tout. Mais, avant de se séparer, j’ai encore un petit cadeau pour vous.

-Je suis désolé, mais je ne peux vraiment pas accepter. Vous le donnerez à quelqu’un d’autre. Au revoir, Madame.


Elle quitte effectivement son cabinet, assez désappointée par ce refus.

Fin de l’histoire. Du moins en apparence…


Dr C. Thomsen, octobre 2019

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