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Mikhaïl Boulgakov et Alfred Döblin

Après quelques écrivains français et britanniques qui furent aussi médecins, je propose de changer de pays et de langue : le russe pour Mikhaïl Boulgakov, et l’allemand pour Alfred Döblin, chacun étant l’auteur d’un livre très célèbre : Le Maître et Marguerite pour le premier, Berlin Alexanderplatz pour le second.


Mikhaïl Boulgakov (1891 – 1940)


Mikhaïl Boulgakov

Boulgakov est un médecin et écrivain russe, auteur d’un roman célébrissime, Le Maître et Marguerite, tellement culte qu’un site internet lui est entièrement consacré : https://www.masterandmargarita.eu/fr/index.html.

Il n’exerce la médecine que jusqu’en 1920, date à laquelle il décide de se consacrer au journalisme et à la littérature. S’il a écrit aussi pour le théâtre et l’opéra, il est essentiellement connu pour ses œuvres de fiction. Son œuvre complète a fait l’objet d’une édition dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade, apothéose pour tout écrivain, de quelque nationalité qu’il soit.

Toute sa vie Boulgakov fut confronté à la censure stalinienne. Il ne fut pas le seul artiste russe dans ce cas, loin de là : il suffit de penser par exemple à l’écrivain Boris Pasternak, auteur du célèbreDocteur Jivago, ou au compositeur Chostakovitch, avec son opéra Lady Macbeth de Mtsensk. Mais, en définitive, il a fini par devenir une gloire nationale pour les Russes, au point que deux musées lui sont consacrés, qui se concurrencent d’autant plus qu’ils sont situés dans le même immeuble moscovite que Boulgakov habita quelques années : la Maison de Boulgakov, lieu de pèlerinage des fans de l’auteur, et le musée M.A. Boulgakov, voulu par les autorités russes en 2007.

Il convient de dire quelques mots sur son roman le plus célèbre, Le Maître et Marguerite, classé par La Bibliothèque idéale parmi les dix œuvres les plus remarquables de la littérature russe. Boulgakov a travaillé à son roman de 1928 à 1940, année de sa mort prématurée. C’est son épouse qui terminera le manuscrit, qui sera publié en 1967 à Francfort, puis en Russie en 1973.

La structure du roman est complexe, entremêlant le réel et le fantastique, les époques et les lieux (Jérusalem sous Ponce Pilate et l’empereur Tibère, et Moscou sous Staline), ainsi que trois actions distinctes, la troisième donnant une place importante au personnage de Marguerite. D’une certaine façon ce roman peut être considéré comme le Faust du XXème siècle, le magicien Woland et Méphistophélès représentant Satan dans chacun des deux livres ; le personnage féminin porte le même prénom dans les deux ouvrages. On peut penser aussi aux Élixirs du Diable, de l’écrivain fantastique allemand du XIXème siècle E.T.A. Hoffmann.

J’en profite pour vous recommander chaudement la lecture des Contes d’Hoffmann, parus en intégralité et dans une magnifique édition chez Phébus. Vous y trouverez bien des merveilles, certaines très connues, comme Casse-Noisette et le roi des souris, ou L’Homme au sable (le Marchand de sable, Der Sandmann en allemand), d’autres totalement ignorées du grand public. Et vous y ferez la connaissance d’un personnage extraordinaire, le maître de chapelle Johannes Kreisler, qui a tellement stimulé l’imagination créatrice de Robert Schumann, au point qu’une de ses œuvres porte son nom, les superbes Kreisleriana.

L’influence de ce livre, Le Maître et Marguerite, sur un grand nombre d’artistes est considérable, notamment des musiciens comme les Rolling Stones et leur célèbre Sympathy for the Devil, (je rappelle que « sympathy » se traduit par « compassion »), ou des écrivains comme Salman Rushdie et ses Versets sataniques.

Le livre a fait l’objet d’innombrables adaptations pour le cinéma, le théâtre, en bande dessinée ou en roman graphique, sous forme d’opéra ou de comédie musicale. C’est ce que les jazzmen appelleraient un standard.


Alfred Döblin (1878 – 1957)


Alfred Döblin

Alfred Döblin, médecin neurologue allemand et écrivain de langue allemande, naturalisé français en 1936, n’est pas très connu dans son pays d’adoption, la France, si ce n’est grâce à son roman Berlin Alexanderplatz (prononcez Berlin à l’allemande, comme une berline).

Son parcours ressemble à celui de beaucoup de juifs allemands ayant vécu à cette époque sombre, obligés de s’exiler pour survivre dès l’arrivée des nazis au pouvoir. Cet exil mettra fin à son activité médicale. Dès le lendemain de l’incendie du Reichstag, il s’expatrie vers la France en passant par la Suisse. Quand la guerre éclate, il entre au ministère de la propagande, où travaillent déjà d’autres émigrants venus d’Allemagne. Dès le 10 juin 40, il fuit vers le sud, et arrive avec sa famille à Marseille, qu’ils quittent pour l’Espagne puis le Portugal, et enfin les États-Unis, pour lesquels ils embarquent le 5 septembre.

Un de ses fils, Wolfgang, engagé dans l’armée française, se suicide en juin 40 à Housseras, dans les Vosges, pour ne pas tomber aux mains des nazis. Il sera enterré dans le cimetière de cette bourgade. Döblin et son épouse l’y rejoindront en 1957. Le frère cadet d’Alfred, Kurt, sera gazé à Auschwitz avec toute sa famille.


Döblin vivra pendant cette période américaine à Hollywood, où il exercera jusque fin 1941 le métier de scénariste pour la compagnie MGM. Le 30 novembre de la même année, Alfred, sa femme Erna et leur plus jeune fils Stephan se convertissent au catholicisme.

Il retrouve Paris le 16 octobre 1945, parmi les premiers écrivains émigrés à revenir en Europe. Il est engagé comme inspecteur littéraire de l’administration militaire française, ce qui l’amène à vivre à Baden-Baden, puis à Mayence. Il travaille pour la presse écrite et pour la radio. En 1949, il est un des fondateurs de l’Akademie der Wissenschaften und der Literatur Mainz, (Académie des sciences et des lettres de Mayence).

En 1953, il refuse la proposition de Berthold Brecht de le rejoindre en RDA (Allemagne de l’Est). Par deux fois son nom sera proposé, sans succès, pour le Prix Nobel. Les dernières années de sa vie seront assombries par la maladie de Parkinson, qu’il connaissait sûrement très bien puisqu’il avait exercé la neurologie. Il meurt le 26 juin 1957. Trois mois plus tard, son épouse Erna se suicide. Toute la fin de la vie d’un grand écrivain français, François Nourissier, fut également gâchée par cette terrible maladie, qu’il surnommait avec une ironie amère « Miss P ».



L’œuvre de Döblin est très abondante, mais, dans la mesure où elle n’est pas très connue en France, je me contenterai de quelques mots sur son roman le plus célèbre, Berlin Alexanderplatz, classé parmi les 100 meilleurs livres de l’histoire par un panel de cent écrivains du monde entier interrogés par The Guardian en 2002. Ce roman, publié en 1929, raconte le parcours d’un délinquant, Franz Biberkopf, tout juste sorti de prison après avoir purgé une peine de quatre ans pour avoir tué sa compagne. Un cas de « féminicide » avant l’heure, puisque, si l’acte de tuer sa compagne a probablement toujours existé, le mot, calqué sur « homicide », est récent. J’en profite pour rappeler qu’un homicide n’est pas le meurtre d’un homme au sens d’un humain mâle, mais d’un être humain de quelque sexe qu’il soit. Raison pour laquelle « féminicide » ne me semble pas très conforme à l’esprit de la langue française. Mais l’usage fait loi, et le mot est explicite, comme souhaité par les inventeurs de ce néologisme. Cette peine infligée au héros pourrait sembler bien légère à notre époque où de très nombreuses femmes meurent chaque année sous les coups de leur conjoint ! Mais les choses ont-elles vraiment changé ?

Franz se promet de rester honnête, mais ne parviendra pas à sortir du milieu de la pègre. L’histoire se passe dans les quartiers populaires de Berlin situés à proximité de l’Alexanderplatz, dans les années de la rédaction du roman. Döblin adopte plusieurs points de vue et différents artifices de narration, comme l’inclusion de chansons ou d’articles de journaux. Il a été évoqué une certaine proximité avec l’Ulysse de Joyce, ou le Voyage au bout de la nuit, de Céline, en particulier par l’usage d’un langage proche du dialecte berlinois en vigueur au sein de la pègre de cette ville. Une influence de son ami Bertolt Brecht (d’ailleurs réciproque), a également été notée. On doit au grand cinéaste allemand Reiner Werner Fassbinder une adaptation pour la télévision allemande sous forme d’une série diffusée en 1980. J’ignore si elle a pu être vue en France.


Dr Christian Thomsen, février 2020

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