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Palliatologue ou palliativiste ?

Les soins palliatifs (SP) ont vu le jour en Angleterre avant d’essaimer au Canada et aux États-Unis. Ce qui était au départ un projet sociétal du monde anglo-saxon a atteint dans un second temps l’Europe continentale, notamment des pays comme la France ou la Suisse. Et c’est une excellente nouvelle !

En France il n’a pas été prévu par les instances sanitaires de faire des soins palliatifs une spécialité médicale à part entière, l’accent étant plutôt mis sur la diffusion progressive d’une culture palliative dans le monde du soin, médecins compris, lesquels devront se familiariser avec cette thématique dès leurs études de médecine. En suivant cette logique, un jour viendra peut-être où il n’y aura plus besoin ni de structures ni de médecins dédiés aux SP, puisque la compétence nécessaire à la prise en charge de la fin de vie sera disponible en tous lieux, par tous les soignants et pour tous les patients. Il n’est pas interdit de rêver !


Dans le même ordre d’idée, tous les soignants devraient être formés dès le départ à la psychologie (pour éviter de graves erreurs de communication avec les patients ou leurs proches), et à la prise en charge de la douleur, le soulagement de la douleur de leurs patients étant un « impératif catégorique » pour ceux qui les soignent. Mais cela n’empêche nullement qu’il y ait une nécessité d’avoir des psychologues clinicien(ne)s pour aider les patients ou les soignants en souffrance, et des algologues, autrement dit des médecins spécialisés dans la prise en charge des douleurs rebelles. C’est avec le même type de même raisonnement qu’il existe un réel besoin de médecins ayant acquis des compétences particulières en médecine palliative, notamment pour coordonner les structures spécialisées dans cette discipline que sont les unités de soins palliatifs (USP) et les équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP).


En Suisse, pays si proche géographiquement du nôtre et pourtant si différent culturellement, deux instances médicales ont validé en 2016 un titre de sous-spécialiste en médecine palliative : l’ISFM (Institut suisse pour la formation médicale) et la FMH (Fédération des médecins helvétiques).

Par ailleurs il existe une « société savante » (c’est le terme consacré) française dédiée aux SP, qui a la particularité d’être la seule société savante médicale à inclure, sur un pied d’égalité, des bénévoles d’accompagnement. Cette société porte le nom de SFAP, Société française d’accompagnement et de soins palliatifs.


Tout ceci pour dire qu’il existe bel et bien une médecine palliative et des médecins qui prennent en charge les patients qui en relèvent, et qu’il faut bien donner un nom à ces nouveaux médecins. C’est ce qu’explique parfaitement un article rédigé par une équipe suisse de médecine palliative, et publié en 2016 dans La Tribune de Genève.

D’après cet article, dans le monde anglophone ces médecins spécialisés en « palliative care » sont appelés tantôt « palliativistes », tantôt « palliatologues ».

En fait ma propre recherche m’a amené à trouver non pas « palliativist », qui ne semble pas exister en anglais, mais « palliativism », dont la version française, rarement employée, est « palliativisme », néologisme désignant les soins palliatifs, et « palliatologist », traduit en français par « palliatologue », pour nommer un médecin exerçant la médecine palliative.

Les auteurs font une distinction pertinente entre les deux suffixes « -logue » et « -iste ». Le premier désigne un individu qui étudie une discipline, alors que le second est plutôt réservé à celui qui la pratique. Nos auteurs prennent un exemple musical amusant : un artiste qui joue de la flûte est un flûtiste, alors qu’un musicologue qui se consacrerait à l’étude de la littérature pour flûte serait un « flûtologue », spécialité qu’à ma connaissance aucun musicologue n’a osé revendiquer. Mais cette distinction est peu opérante pour désigner les médecins, car ceux qui étudient la théorie d’une discipline médicale et ceux qui l’exercent en pratique sont en réalité les mêmes individus.

Plus sérieusement les auteurs comparent les noms donnés aux différents spécialistes médicaux, et constatent qu’il en existe de deux types : ceux qui exercent une « médecine d’organe », et qui sont affublés du suffixe « -logue », comme les cardiologues, dermatologues, néphrologues et autres pneumologues ; et ceux dont la spécialité est plutôt « transversale », qui bénéficient du suffixe « iste » : épidémiologistes, généralistes, internistes ou encore urgentistes.


La médecine palliative ayant une vocation « holistique », englobant non seulement les aspects proprement médicaux des patients en situation palliative, mais aussi leurs besoins psychologiques, sociaux et même spirituels, ressort à l’évidence de la seconde catégorie.

Leur conclusion s’impose donc avec la force de l’évidence : « palliativiste » leur semble nettement plus approprié que « palliatologue » pour désigner les médecins francophones qui se consacrent à la médecine palliative. Dorénavant, c’est la dénomination que j’emploierai.

Tout ceci m’amène à constater que la discipline qui s'appelait naguère « angiologie » ou « angéiologie » (les maladies des vaisseaux), et sa sous-discipline la « phlébologie » (les maladies veineuses), est devenue la « médecine vasculaire », adossée à sa cousine la « chirurgie vasculaire ». Mais je n’arrive toujours pas à savoir comment il faut désormais qualifier ceux que l’on appelait encore récemment « angiologues » ou « phlébologues ». « Spécialiste en médecine vasculaire », c’est tout de même bien long à énoncer. Pourquoi pas « médecin vasculaire » ? Sinon il est possible d'envisager vasculiste, vasculariste, vasculogue ou vasculologue ? Aucun de ces quatre néologismes que je viens d’imaginer ne semble pour l’instant avoir cours.

Toutes ces questions de nomenclature me ramènent à mon écrivain favori, Marcel Proust, auquel Nicolas Ragonneau a consacré récemment un amusant ouvrage, Proustonomics, qu’il termine par un « Glossaire de Proust », lequel recense les néologismes, mots-valises et autres suffixations élaborés à partir du nom de Marcel Proust. Cela commence par « haussmannisation », qui évoque le confinement volontaire de Proust boulevard Haussmann pour cause de chef-d’œuvre à terminer avant de mourir, et finit par « stéphanebernisation », qui permet de caractériser l’obsession de certains proustiens à chercher des clés dans la Recherche, en passant par « Narraproust », brillante création de Claude Arnaud, que l’on trouve dans son Proust contre Cocteau. Ce néologisme est parfait pour expliquer que le narrateur n’est pas tout à fait Proust, mais tient quand même beaucoup de Marcel. Quand Proust évoque dans sa correspondance le personnage qui dit « je », il rajoute systématiquement la précision suivante, qu’il insère entre deux parenthèses : « et qui n’est pas moi ».

Certains de ces mots servent à qualifier les différents types d’amateurs du grand Marcel. En voici quelques-uns :

« Proustard », comme thésard ou sorbonnard, évoque le chercheur universitaire, comme Jean-Marc Quaranta, auteur d’Un amour de Proust.

« Proustien » et « proustiste » : Patrice Louis, créateur du blog « le fou de Proust », distingue le proustien, qui épouse et maîtrise la pensée du maître, du proustiste, qui serait un simple amateur, mais tout de même assez fin connaisseur de son sujet d’admiration. Je me pensais proustien, je ne suis en définitive que proustiste. Mais je préfèrerais « proustophile », qui ne figure pas dans le glossaire, pas plus que « proustologue », pratiquant la « proustologie », comme un gastro-entérologue peut être qualifié de proctologue s’il est versé dans les maladies de l’anus et du rectum.

La « proustolâtrie » désigne l’adoration du « proustolâtre » pour la personne de Proust et toutes ses reliques. Pierre Michon dit des proustolâtres exclusifs qu’ils ont tendance à « le gonfler ».

Un cran en dessous du proustolâtre, on trouve le « proustomane », qui s’adonne à la « proustomanie », addiction certes moins dangereuse que la morphinomanie dont souffraient deux amis de Marcel, Jacques Bizet et Jean Cocteau.

Ceux, très nombreux, qui n’aiment pas Proust ou qui ont peur de le lire, sont des « proustophobes », qui souffrent de « proustophobie ». Tant pis pour eux.

La « proustosphère » désigne la communauté de ceux qui s’intéressent à Proust. Contrairement à la complosphère, il ne s’agit pas d’une société souterraine aux ramifications multiples. Fort heureusement, il n’y a rien de commun entre ces deux atmosphères ! Certains membres de la proustosphère sont adhérents de la Société des Amis de Marcel Proust. J’en suis…

Deux des néologismes colligés par Nicolas Ragonneau sont très connus :

« Proustification » désigne le processus qui a fait de l’œuvre de Proust un mythe littéraire. Antoine Compagnon, éminent proustien, a défini le terme dans Les Lieux de Mémoire de Pierre Nora.

« Proustifier » est un verbe créé par les condisciples de Marcel au lycée Condorcet (Daniel Halévy, Jacques Bizet, Robert de Flers, entre autres) dans le but de se moquer gentiment de ses raffinements de politesse lorsqu’il parlait avec eux. Il a gardé cette manie toute sa vie, au grand dam de certaines de ses relations qui fuyaient sa conversation un tantinet emberlificotée.

Il y a quelques décennies, mes enfants disaient que je « proustifiais » quand ils me voyaient lire Proust. Et ils ne s’y sont jamais mis. Tant pis pour eux (bis).

J’aime aussi beaucoup la « proustatectomie », qui fait référence au fait que c’est Robert Proust, le cadet de Marcel et célèbre chirurgien, qui fut à l’origine de l’ablation de la prostate par voie périnéale, la prostatectomie périnéale totale.

Quant à ma propre « proustothèque », elle commence à s’étoffer de manière sérieuse. Elle comprend les œuvres de Proust et des livres sur lui et son monde.


Le lecteur attentif aura remarqué qu’il existe des « proustistes », qui évoquent les palliativistes, et des « proustologues », comme il est des palliatologues.

Nous voici donc revenus à notre point de départ.

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