Le nom de ce très illustre chirurgien français du XXème siècle ne dit probablement plus grand-chose au plus grand nombre d’entre vous, sauf peut-être à ceux, patients ou soignants, qui ont (ou ont eu) affaire avec les deux hôpitaux français qui portent son nom : le CHU de Créteil (Val de Marne), et le CHG d’Aurillac, préfecture du Cantal, département dont il était originaire. Il est né en effet à Saint-Cernin, non loin d’Aurillac, en 1885.
Or il se trouve que j’ai eu la chance, entre 1979 et 1983, d’être interne, puis chef de clinique dans le Service de chirurgie digestive (on ne disait pas encore « et viscérale ») du CHU (Centre Hospitalier Universitaire) Henri Mondor de Créteil, puis, ces dernières années, soit près de 35 ans après, de venir travailler ponctuellement dans le service de chirurgie viscérale et digestive du CHG (Centre Hospitalier Général) Henri Mondor d’Aurillac. Pendant mes études chirurgicales, j’ai lu, comme tous mes collègues internes en chirurgie digestive, son ouvrage majeur, à l’époque notre bible à tous : « Diagnostics urgents – Abdomen ». Ce bouquin est toujours en bonne place dans la vitrine de mon bureau où je range mes livres médicaux. Ce serait amusant de le relire pour voir ce qui a survécu de l’enseignement de la chirurgie de cette époque, où l’on ne connaissait ni l’échographie ni le matériel chirurgical à usage unique (pas même les gants !), et où le prestige des médecins en général, et des chirurgiens en particulier, était intact, pour ne pas dire immense. Autres temps…
J’ai vu à l’hôpital d’Aurillac une exposition permanente de documents qui retracent la vie de cet homme remarquable, à savoir sa carrière de chirurgien et son œuvre littéraire et picturale. J’ai donc eu l’occasion d’apprendre sur lui un certain nombre de choses très impressionnantes, car chacune des facettes de cet homme aux multiples talents suffirait à remplir la vie d’un honnête homme du XXIème siècle.
1. Le grand patron de chirurgie
Les photos que l’on a de lui sont celles d’un grand patron de la chirurgie parisienne, un « mandarin », comme on disait à l’époque. Ces fameux mandarins n’ont pas survécu à la déferlante des évènements de mai 68. Les photos le montrent en général portant un nœud papillon, attribut traditionnel des chirurgiens de cette époque. J’ai moi-même cédé à cette mode pendant mes jeunes années de pratique chirurgicale, avant d’opter pour le port de la cravate, puis pour l’absence de cravate, comme la plupart des Français du XXIème siècle.
Sur le plan médical, sa carrière fut exemplaire : interne des hôpitaux de Paris en 1909, médaille d’or de l’internat en 1912, chirurgien des hôpitaux en 1920, professeur agrégé en 1923, professeur de faculté en 1938, puis, le graal, professeur de clinique chirurgicale en 1941, jusqu’à sa retraite en 1955.
Il exerçait son art notamment à l’Hôpital Saint-Louis, où il prit la succession de son maître Lecène. Ses qualités furent reconnues par ses pairs, qui le nommèrent à l’Académie de chirurgie en 1926 (il en fut le secrétaire en 1930), à l’Académie nationale de médecine en 1945, puis enfin à l’Académie des sciences en 1961.
Il fut non seulement un grand chirurgien, un « grand patron », dénomination qu’il aimait particulièrement, mais aussi un enseignant hors pair. Outre le fameux Diagnostics urgents –Abdomendéjà cité, on lui doit entre autres Les avortements mortels, ainsi que Quelques vérités premières en chirurgie abdominale, et un certain nombre de monographies consacrées à de grands noms de la médecine et de la chirurgie : de Paul Lecène à Anatomistes et chirurgiens, en passant par Grands médecins presque tous, puis Pasteur et enfin Dupuytren, ouvrages cités par ordre chronologique de publication.
Il était également un grand clinicien, et a laissé son nom à quatre signes cliniques, dont la présence d’une ecchymose plantaire dans les fractures du calcanéum, ainsi qu’à une maladie. La maladie de Mondor est plutôt un syndrome qu’une maladie, et se caractérise par la présence d’une phlébite en cordon de la paroi antérolatérale du thorax. Ce syndrome est bien connu des dermatologues.
Son enseignement reposait sur le principe de la primauté donnée à l’examen clinique, le fameux aphorisme « la clinique d’abord », maxime qui reste d’actualité, même si les jeunes médecins, nourris d’examens complémentaires de biologie et d’imagerie médicale, semblent l’oublier de plus en plus.
Voilà brossé à grands traits le portrait d’un des grands noms de la chirurgie française, l’une des gloires de l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris). On conviendra que bien des médecins se contenteraient d’une telle carrière. Mais pas notre héros. Il est de coutume de dire que la chirurgie est un art. Je ne suis pas certain que l’on puisse en conclure que les chirurgiens sont des artistes. Mais Henri Mondor l’était indiscutablement, et il a toute sa place dans la galerie des médecins-écrivains dont je m’amuse à « tirer le portrait ».
2. L’homme de lettres
Henri Mondor eut, en parallèle de sa brillante carrière de chirurgien hospitalier, de mandarin de la chirurgie parisienne, une carrière littéraire et artistique qui lui valut son élection à l’Académie française en 1946, au fauteuil de Paul Valéry, après avoir été préalablement récompensé du Grand prix de la critique de l’Académie française. Il avait été envisagé initialement d’élire à ce fauteuil André Gide, qui aurait particulièrement aimé faire l’éloge de son ami Valéry, mais les Académiciens reculèrent en raison de la réédition annoncée de Corydon, ouvrage disponible « sous le manteau » dans lequel Gide parlait ouvertement (quoi qu’en termes assez peu explicites en réalité) de son homosexualité (ou plus exactement de sa pédérastie, que l’on qualifierait actuellement de pédophilie), sujet encore tabou à cette époque. La candidature d’Henri Mondor parut moins problématique à l’illustre Compagnie. S’il fut élu, ce ne fut pas en tant que médecin, mais parce qu’il était un spécialiste unanimement reconnu de l’œuvre du grand poète symboliste Stéphane Mallarmé.
Son goût pour la langue et la culture françaises lui venait de son enfance, passée sous la férule d’un père directeur d’école primaire. Mais c’est sa mère qui l’avait poussé à entreprendre des études médicales, afin qu’il grimpe les barreaux de l’échelle sociale. La médecine fut son métier, qu’il aima passionnément, la littérature sa vraie passion, à laquelle il ne renonça jamais.
Son œuvre littéraire est constituée essentiellement d’ouvrages d’histoire littéraire, parmi lesquels on citera : L’Amitié de Verlaine et Mallarmé / Vie de Mallarmé / Mallarmé plus intime / Propos de Mallarmé sur la poésie / Valéry et Gide / Entretien au bord du fleuve avec Georges Duhamel / L’heureuse rencontre : Mallarmé et Valéry / L’Histoire d’un faune / L’Affaire du Parnasse / Alain / Rimbaud ou le génie impatient / Maurice Barrès avant le Quartier latin / Précocité de Valéry / Claudel plus intime. (Cités dans http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/henri-mondor).
On peut constater que, outre Mallarmé, Paul Valéry est également très présent dans cette liste, dans laquelle figure aussi un écrivain-médecin un peu oublié de nos jours, Georges Duhamel, qui le reçut à l’Académie française le 30 octobre 1947. Une notice lui est consacrée dans ce blog.
François Mauriac a rendu en son temps hommage à Henri Mondor avec les mots suivants : «J’admirais et j’aimais dans un esprit comme celui-là l’hommage que la science rend à la poésie. Il ne parlait presque jamais de ce qui l’avait rendu éminent dans sa spécialité ni des ouvrages qui, dans cet ordre, lui assureront une place durable. La poésie a besoin d’érudits d’une certaine race... » On ne saurait mieux dire.
Henri Mondor fut en outre un remarquable dessinateur. Bien sûr, il était anatomiste, ce qui suppose de savoir dessiner. Mais il était réellement très doué pour le dessin, avec un thème de prédilection, la rose. Il illustra entre autres un ouvrage de Paul Valéry, L’homme et la coquille. Décidemment, cet homme avait bien des talents.
Henri Mondor est mort à l’Hôpital américain de Neuilly le 6 avril 1962.
Le vocabulaire de la médecine a gardé l’usage de l’expression « littérature médicale » pour désigner l’ensemble de ce qui se publie en médecine, que ces publications soient scientifiques ou pédagogiques. Mais elles ne contiennent absolument plus rien de ce qu’on entend habituellement par ce beau mot de littérature, car elles sont formatées à l’anglo-saxonne uniquement pour être efficaces, et nullement dans le but qu’elles soient également plaisantes à lire. Notre grand Henri Mondor serait probablement attristé de constater la disparition d’un genre qu’il a illustré plus que quiconque : la publication médicale écrite dans un grand style littéraire, la « littérature médicale » au sens noble du terme.
Dr C. Thomsen, janvier 2020
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